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Portrait

Hugo Mercier, sa place au sommeil

Fils de catcheur, ce startupper polytechnicien de 26 ans a conçu un bandeau connecté qui assomme l’insomnie sans chimie.
(Photo Smith pour «Libération»)
publié le 28 janvier 2019 à 17h06
(mis à jour le 28 janvier 2019 à 18h37)

Hyperconnecté, stressé, jetlagué ? On parie que vos nuits ressemblent à ça. Lumière éteinte, votre cerveau redouble de vitalité et vous balance sur un ring imaginaire. Boosté par une poussée d’adrénaline, votre rythme cardiaque cavale et votre inconscient ricane de ce plexus qui n’a plus rien de solaire et baratte le beurre de vos angoisses. L’endormissement devient un enjeu aussi frappé qu’un concours de tequila paf. Pourtant persuadé du chiqué de l’issue, vous bataillez sec. Avant de craquer et de croquer dans la molécule somnifère qui vous sert d’infirmière.

Votre salut pourrait avoir le teint bronzé et la nuque dégagée d'Hugo Mercier, 26 ans, cofondateur de Dreem. Un tiers de la population mondiale dort mal, avec pour corollaire diverses réjouissances en matière de santé. Pour enrayer le phénomène, ce startupper au QI stratosphérique a eu l'idée de développer un bandeau connecté, capable d'analyser le sommeil et de l'améliorer par des stimulations sonores. Emis par le serre-tête et véhiculés par conduction osseuse, des «bruits roses», sorte de «pfut» étouffés, amplifient et prolongent les ondes lentes du sommeil profond. Le procédé aurait déjà sauvé quelques milliers d'insomniaques et permis de disséquer 700 000 nuits.

Le monde des ronfleurs rassérénés siège boulevard Haussmann. Après passage des portillons de sécurité, une tablette nous indique la lettre de l'ascenseur. Le «A» nous recrache en douceur dans 1 000 m2 d'open space : 80 collaborateurs dont la moyenne d'âge ne chatouille pas la trentaine usinent devant les ordis. Une roue de vélo patiente au coin d'un bureau, des PS4 traînent sur une table. Détournées comme il se doit pour visionner une série ou passer des appels, les salles de sieste affichent occupé. Bref, un stakhanovisme débonnaire émane des lieux, entre concentration obligée et décontraction placardée. Rivée aux Reebok du boss, on longe la «war room», aussi appelée «G20», lieu stratégique où l'élan collectif se heurte aux complexités entrepreneuriales.

Jeans à revers et chemise bleu moyen, l’homme qui en quatre ans est parvenu à lever 55 millions d’euros en France et aux Etats-Unis a des airs d’étudiant cubant sa prépa. On l’imaginerait volontiers se rasader en afterwork s’il n’avait cette étincelle obsessionnelle dans la prunelle. Bac à 14 ans, Supaéro, Polytechnique, création d’entreprise, Berkeley. Les médias raffolent de sa précocité, lui pointe les limites des tests d’intelligence et clame que sa réussite est affaire d’équipe.

Fils unique d'une infirmière en gériatrie et d'un catcheur-cascadeur, le gosse de Wissous, en banlieue parisienne, montre vite des dispositions assez singulières. Introverti, il passe ses récrés avec les profs et joue à saute-mouton avec les classes. Pleure de joie quand, pour ses 9 ans, il reçoit un ordi. «Le plus beau moment de ma jeunesse», glisse-t-il convaincu. Sa bécane numérique, il la bidouille comme d'autres astiquent les chromes de leur première mob. Le soir, les interrogations tournoient dans son esprit et l'empêchent de sombrer apaisé. Aux ânonnements éducatifs, il préfère bientôt la création de clips vidéo et la logistique des shows paternels. Côté mère, on a le nez dans les livres, l'œil voie lactée et l'ambition humaniste. De l'autre, c'est plus rock'n'roll. Catcheurs de père en fils, les Mercier ont vécu l'apogée de la discipline. Ricard sponsorisait les combats, Zitrone les commentait. Et le spectacle, aussi populaire que prévisible, remplissait les salles. Les coups pris ont sans doute précipité le grand-père dans les cordes. Aujourd'hui Alzheimer, il demeure l'instigateur d'une révolution. C'est pour lui que le polytechnicien a sollicité l'aide de son oncle maternel, neuroscientifique d'envergure, et s'est immergé dans les complexités à synapses de la matière grise.

Sur la scène du Grand Rex ou dans Quotidien, l'émission de Yann Barthès, l'ex-pilote de kart gère timidité et stress sans survirage intempestif. Coincé sur le stand de nos futilités pour blablater de la série Black Mirror, il agonise en silence. Dreem est sa réalité augmentée, le seul siphon de ses aspirations, l'unique souffle de ses inspirations. Journées de treize heures, incursions à la salle de sport, appartement près de la gare Saint-Lazare, copine qui bosse chez L'Oréal, maîtrise parfaite des pâtes au poulet. Rien de très surprenant. Sauf que l'animal social imaginé est un échaudé de l'esbroufe qui fuit les cocktails : «Je n'ai jamais su faire et je n'y arriverai jamais. Tout le monde y est faux. Je ne sais pas à qui parler.» Il avoue quelques colères et une tendance à l'impatience. Quentin Soulet de Brugière, cofondateur et directeur technique de Dreem, nuance : «Il est très à l'écoute des problèmes, a un grand sens du collectif. Sanguin et impulsif, il apporte du dynamisme. On s'engueule souvent, et c'est tant mieux, sinon on irait dans le mur. Il se remet beaucoup en question et déteste les vérités absolues

Adoubé par Laurent Alexandre, fondateur de Doctissimo, et par Xavier Niel, créateur de Free, Mercier fédère les assureurs de la Maif comme les shampouineurs-pharmaciens de Johnson & Johnson, séduit le MIT ou Vanity Fair. Sans contact direct avec LREM (même si une photo montre Macron, pour qui il a voté, affublé d'une version datée du bandeau), il s'étonne des moqueries sur le «en même temps» du numéro 1. Avoir plusieurs éclairages sur un même sujet lui semble assez logique. Peu coq à cocoricos crétins, il porte néanmoins l'estampille bleu-blanc-rouge. Et ose dans son bouquin, qui détaille l'aventure de son casque au design parfait, quelques piques aux Silicon boys. Clope à la main, une sale manie à bannir cette année, nez froncé, il se dit révulsé par les conducteurs de Tesla qui, à SF, snobent les SDF. Parmi les avantages hexagonaux, il pointe les études abordables ou l'accès aux soins pour tous. La fièvre jaune hebdomadaire et les images de guérilla urbaine, commerces barricadés, voitures immolées et coléoptères d'acier cisaillant le ciel parisien, le dépriment. Si la consultation publique est intéressante, il trouve essentiel que l'impôt demeure et que le Président donne un cap au pays. Sur la table de chevet de ce bon dormeur, il y a un livre de Ben Horowitz, sur l'entreprise et ses incertitudes. Jamais menteur, même avec les journalistes, Mercier voit dans Trump, qui plastronne ronflette minimale piquée au revers, les ravages du manque de sommeil à long terme. Ce qui n'empêche pas l'opportunisme. Pour le dernier CES, grand raout des nouvelles technologies, Mercier a détourné le slogan républicain en «Make Sleep Great Again»…

1992 Naissance à Aurillac (Cantal).
2010-2013 Supaéro.
2013-2015 Polytechnique.
2014 Fonde Dreem.
Février 2019 A la conquête du sommeil (Stock).