La chimiste britannique qui a photographié l’ADN aux rayons X, permettant de découvrir sa structure en double hélice, est morte en 1958 avant que son travail ne soit reconnu à sa juste valeur. Mais elle tient un bout de revanche : son nom fera les gros titres des journaux quand elle posera le pied - enfin, les roues - sur la planète rouge en 2021. L’Agence spatiale européenne (ESA) a annoncé que son futur rover martien sera baptisé Rosalind-Franklin.
Cette dernière était experte de la diffraction des rayons X. Au King's College de Londres, elle a appliqué cette technique d'imagerie à des brins d'ADN dès 1951. Ses photos, «parmi les plus belles jamais prises de substance aux rayons X» selon le physicien John Desmond Bernal, semblent confirmer les soupçons du scientifique Maurice Wilkins : l'ADN a «une structure hélicoïdale contenant deux, trois ou quatre chaînes d'acides nucléiques coaxiaux». Mais Rosalind-Franklin a succombé à une pneumonie et un cancer des ovaires à l'âge de 37 ans (peut-être surexposée aux rayons X), quelques années avant que la double hélice ne soit entièrement comprise, validée et reconnue par la communauté scientifique. Le prix Nobel (jamais accordé à titre posthume) a récompensé James Watson, Francis Crick et Maurice Wilkins en 1962.
Rosalind-Franklin n'a donc pas de rapport avec l'astronomie. Son nom a été proposé parmi 36 000 dans le concours organisé l'été dernier par l'agence spatiale britannique. «C'est une tradition pour l'ESA de nommer ses missions d'après des grands scientifiques, dont Newton, Planck et Euclide», se vante l'agence européenne. Et cette Franklin sur roulettes est une première : jamais un engin d'exploration spatiale n'avait porté le nom d'une femme scientifique. L'ESA n'insiste pas sur son effort féministe, préférant jouer la métaphore. «Ce nom nous rappelle que l'exploration est dans les gènes humains, commente son patron, Jan Woerner. La science est dans notre ADN. Rosalind le rover saisit cet état d'esprit et nous emmène tous à l'avant-garde de l'exploration spatiale.»
De belles paroles, mais gare à la tentation paternaliste d'appeler l'astromobile par son prénom uniquement… «On peut tous se mettre d'accord pour surnommer le rover Franklin et pas Rosalind ?» a immédiatement réagi l'astrophysicien Jonathan Pritchard. La question du surnom, plus délicate encore, ne manquera pas de se poser quand on recevra de Mars des selfies du rover à la jolie bouille de Wall-E. «A tous ceux qui s'enthousiasment de l'hommage, avertit la planétologue Emily Lakdawalla, souvenez-vous que "Rosy" était le surnom méprisant que lui donnait James Watson.» Le même qui reprochait à Franklin, au labo, «de ne pas porter de rouge à lèvres et de ne pas se pomponner comme les autres femmes».
Quant à Franklin le rover, il est en construction dans l’usine d’Airbus à Stevenage, au Royaume-Uni. Son but, pour la mission Exomars, sera de chercher un environnement ayant pu accueillir une forme de vie sur la planète rouge. Il carottera le sol jusqu’à 2 mètres de profondeur.