Plan de métro, taux de chômage ou cours de Bourse : vous êtes probablement souvent confrontés à des représentations graphiques d'information, ou infographies. Mais que vous pensiez les comprendre ou qu'elles vous effraient, certaines de ces représentations vont communiquer un message trompeur – c'est un peu de votre faute, et beaucoup de la nôtre. C'est la thèse que défend Alberto Cairo dans son nouveau livre au titre provocateur, How Charts Lie (Comment les graphiques mentent), à paraître en octobre (en anglais).
L'auteur est pourtant un spécialiste reconnu de la discipline : entre Alberto Cairo et les graphiques, c'est une longue histoire. Depuis son premier ouvrage, paru en 2012, cet Espagnol, aujourd'hui installé à Miami où il enseigne la visualisation graphique de données et l'infographie, n'a cessé d'écrire sur le sujet. Il a travaillé de longues années pour plusieurs journaux en Espagne (El Mundo) et au Brésil (Editora Globo).
Alberto Cairo défend en réalité l’idée que les graphiques, en eux-mêmes, ne mentent pas, mais que le lecteur n’est pas toujours bien armé pour les décrypter, aussi bien dans la lecture des formes graphiques que dans sa compréhension du fond : savoir identifier ce que le graphique montre, et ce qu’il ne montre pas. Comment remédier à cette situation ?
Nous l'avons rencontré fin mars à l'occasion de la 27e édition du Malofiej, dont il préside le jury. Ce sommet international de design d'information récompense les meilleures visualisations de données de l'année : les plus grands journaux, agences, ou datajournalistes du monde entier viennent assister à des conférences des célébrités du métier et soumettre leurs productions.
Comment s’assurer que les représentations graphiques sont bien interprétées, notamment pour l’infographie de presse ?
Il est toujours crucial de commencer par estimer le degré de familiarité du lectorat avec la représentation graphique envisagée. Certaines représentations graphiques vont être mieux comprises que d’autres : les gens sont habitués à voir des camemberts, des graphes en barre ou des courbes, et les interprètent donc généralement facilement. Ils ont acquis le langage, la grammaire, qui leur permettent de les comprendre.
Certaines représentations graphiques moins courantes, comme les nuages de points ou les diagrammes de Sankey, peuvent pourtant, dans certains cas, être les choix les plus pertinents pour représenter les données. Mais nous devons rester conscients du fait que beaucoup de gens ne vont pas les interpréter correctement. Cela ne signifie pas pour autant que nous ne devons pas les utiliser, mais quand nous le faisons, nous devons avertir le lecteur, lui dire ce que le graphique montre réellement et pourquoi.
Ce faisant, on contribue aussi à améliorer ce que j’appellerais sa «graphicité», sa capacité à lire correctement des informations représentées visuellement.
La première fois que j’ai vu un graphique en nuage de points, on m’a expliqué comment le lire et ce qu’il montrait. Pourquoi les gens devraient-ils comprendre ces concepts instinctivement ? Il y a une grammaire des graphiques, et en l’explicitant, le lecteur la comprendra de mieux en mieux. On apprend par l’exemple.
Les visualisations complexes suscitent souvent des réactions négatives, aussi bien chez les lecteurs que dans les rédactions : c’est leur complexité même qui est reprochée…
Voilà comment j’appréhendais ce problème dans les rédactions : je demandais au journaliste si le lecteur allait comprendre tous les enjeux de son article en lisant son titre. Non ? Alors pourquoi un graphique devrait-il se comprendre en un regard ? C’est le cas pour certains, bien sûr, comme par exemple un graphe avec cinq barres, mais s’il est riche en informations, il faut s’y plonger et le lire.
C’est comme ça qu’on peut faire changer les choses, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur des rédactions : faire comprendre qu’un graphique n’est pas une manière d’occuper de l’espace, mais d’appuyer un article, de renforcer son propos. Une manière différente d’améliorer la compréhension du lecteur, en faisant interagir du texte et de l’image. Car il est important de comprendre que les graphiques ne sont pas des illustrations.
Comment trouver le juste niveau de complexité à mettre au service du propos ?
Imaginons que vous vouliez représenter par exemple le revenu des habitants d’un pays. Le niveau de granularité le plus complexe consisterait à représenter le revenu de chaque habitant de ce pays. Mais c’est beaucoup trop d’information, le graphique obtenu serait illisible ! Il faut donc synthétiser la donnée, la résumer. Le degré ultime de synthèse serait la moyenne des revenus. Laquelle de ces représentations serait la meilleure ? Aucune, l’une est trop complexe, montre trop de données, et l’autre trop simpliste, et ne rend absolument pas compte de la distribution de cette donnée. La juste représentation se trouve quelque part entre les deux, il faut savoir l’identifier.
Il en va de même pour les sondages : ne pas représenter l’intervalle de confiance (la marge d’erreur) peut être très trompeur si deux candidats ont des résultats très proches. En revanche, si l’un des candidats recueille 80% des suffrages et l’autre 20%, et que l’intervalle de confiance est bas, on peut se passer de le représenter. Si la marge d’erreur peut potentiellement remettre en cause l’histoire que vous êtes en train de raconter, ne pas la représenter revient à mésinformer.
Il faut donc, en tant que graphiste d’information, envisager tous les différents degrés de synthétisation et trouver celui qui capture au mieux la réalité de la donnée, sans la rendre excessivement complexe. Et c’est là que nous intervenons : notre métier n’est pas de simplifier l’information, mais de la rendre de manière claire et juste.