C'est une légère baisse de tension dans le bras de fer qui, depuis des mois, oppose l'administration américaine à Huawei : le 10 juillet, le département américain du Commerce a annoncé qu'il accepterait d'examiner les demandes des entreprises américaines qui souhaiteraient vendre leurs technologies au géant chinois. Fin juin, après sa rencontre avec Xi Jinping en marge du G20 d'Osaka, Donald Trump avait laissé espérer un assouplissement plus conséquent : «Nous vendons à Huawei une énorme quantité de produits qui rentrent dans les différentes choses qu'ils produisent. Et j'ai dit que c'était OK, que nous allons continuer à vendre ces produits.» Déclaration vivement critiquée outre-Atlantique par certains parlementaires, tel le sénateur républicain de Floride Marco Rubio, qui tweetait : «Si le président Trump a accepté de revenir sur les récentes sanctions contre Huawei, il nous faudra alors les remettre en place par une loi.»
Barrer la route de la 5G
Dans les faits, Huawei, numéro 1 mondial des équipements télécom et second (derrière Samsung) sur le marché du smartphone, est toujours mis à l'index aux Etats-Unis, et interdit de présence dans leur futur réseau 5G. Pour autant, des autorisations d'exportation pourront être accordées aux acteurs américains - tels les fabricants de puces Intel et Qualcomm - qui veulent faire affaire avec le groupe chinois, à condition que ces ventes ne menacent pas la «sécurité nationale». Depuis des mois, le risque sécuritaire est le principal argument mis en avant par l'administration Trump pour justifier son offensive anti-Huawei, sur fond de guerre commerciale sino-américaine.
Mi-mai, Washington a sorti l'artillerie lourde, avec un décret présidentiel interdisant aux entreprises américaines d'acheter ou de transférer des technologies ou des services de télécommunications à des acteurs «possédés, contrôlés, ou soumis à la juridiction d'un adversaire étranger» en cas de danger pour la sécurité nationale. Dans la foulée, le groupe chinois a été placé sur la liste des acteurs avec lesquels il n'est pas possible de commercer sans l'aval des autorités. En parallèle, les Etats-Unis n'ont pas ménagé leurs efforts pour convaincre leurs alliés de barrer à Huawei la route de la 5G, qui promet des débits bien supérieurs et des applications nouvelles, notamment dans l'industrie.
En juin, la pression s'est intensifiée. En visite en Europe, le chef de la diplomatie américaine, Mike Pompeo, affirmait au quotidien suisse Neue Zürcher Zeitung que «si vous fonctionnez avec des technologies chinoises, vous fournissez vos informations au Parti communiste chinois». Depuis l'Allemagne, il menaçait même d'un changement de «comportement» des Etats-Unis en matière de partage de renseignements avec ceux de leurs alliés qui s'obstineraient à travailler avec le groupe de Shenzhen - moyen de pression déjà agité en avril à Washington, après une réunion des ministres des Affaires étrangères de l'Otan.
Reste que le lobbying américain contre le géant chinois n’a pas eu le succès espéré. Au sein du cercle des «Five Eyes» (1), seule l’Australie, qui a officiellement écarté Huawei du marché de la 5G, a adopté une position similaire à celle de Washington. Le Canada - en grande tension avec Pékin depuis l’arrestation à Vancouver en décembre, de la directrice financière du groupe, Meng Wanzhou, n’a pas tranché. Selon Reuters, la Nouvelle-Zélande, qui avait d’abord interdit à son principal opérateur, Spark, d’acheter des équipements 5G à Huawei, cherchait le mois dernier un compromis. Quant au Royaume-Uni, le gouvernement n’a pas encore rendu publique sa position. En mai, Theresa May envisageait une participation limitée du groupe chinois au réseau 5G, en l’excluant seulement des infrastructures les plus sensibles.
Au sein de l'UE, si la Pologne ou la République tchèque ont été jusqu'ici sur une ligne offensive, l'Allemagne a opté pour une approche plus mesurée, via un durcissement des exigences en matière de sécurité : pas question d'être «naïf», mais pas question non plus, expliquait en mars Angela Merkel, de bannir un acteur en particulier. Idem aux Pays-Bas, où le ministre de la Justice a annoncé le 1er juillet qu'un contrôle plus approfondi de leurs équipementiers par les opérateurs télécoms serait une «réponse suffisante» aux enjeux sécuritaires de la 5G.
C'est aussi l'option choisie par la France, où l'on s'est bien gardé de mettre Huawei à l'index : «Lancer maintenant une guerre technologique ou une guerre commerciale vis-à-vis de quelque pays que ce soit» n'est «pas approprié», déclarait Emmanuel Macron à la mi-mai au salon VivaTech à Paris. Pour autant, le groupe de Shenzhen fait bien l'objet d'une vigilance particulière. En décembre, apprenant que SFR (propriétaire de Libération) était en discussion avec Huawei pour des équipements destinés à être installés à Paris et en Ile-de-France, Bercy avait contacté l'opérateur. Pas suffisant : selon nos informations, le sujet a été remis sur le tapis lors d'une rencontre entre le PDG Patrick Drahi et le secrétaire général de l'Elysée, Alexis Kohler… Et l'exécutif a décidé de resserrer les boulons.
«Actes d’ingérence»
En janvier, le gouvernement a déposé un amendement à la loi Pacte (Plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises), alors en cours d'examen au Sénat. Le texte prévoyait que le déploiement des «dispositifs, matériels ou logiciels permettant de connecter les équipements de clients au réseau radioélectrique mobile» soit soumis à l'autorisation de Matignon, et que le Premier ministre puisse «prendre en considération» le fait qu'un opérateur ou un prestataire soit «sous le contrôle ou soumis à des actes d'ingérence d'un Etat non membre de l'Union européenne». A l'époque, les sénateurs, agacés par l'absence de débat sur le sujet, avaient retoqué l'amendement. Le dispositif est revenu au Parlement via une proposition de loi déposée par le patron du groupe LREM à l'Assemblée, Gilles Le Gendre. Laquelle a poursuivi son parcours jusqu'à un accord en commission mixte paritaire et sera soumise au vote définitif des députés puis à celui des sénateurs ce mois-ci.
(1) Expression qui désigne l’alliance des services de renseignement des Etats-Unis, du Royaume-Uni, du Canada, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande.