Ad Astra ne se revendique pas film de «hard science-fiction» (respectant la cohérence avec les connaissances scientifiques actuelles) et c’est heureux, car des scènes comme l’infiltration d’un astronaute dans une fusée via ses moteurs allumés ou les jets d’«antimatière» projetés vers la Terre depuis Neptune relèvent moins de la licence artistique que de la fantaisie pure. Mais James Gray a tout de même bien ancré son épopée spatiale dans une réalité : on retrouve, dans les aventures de Brad Pitt-Roy McBride à travers le Système solaire, les acquis et les enjeux actuels de la conquête spatiale.
Armée
Nous sommes sur Terre, «dans un futur proche», annoncent les premières images du film. McBride est employé de SpaceCom, une sorte de Space Force, la nouvelle branche de l’armée américaine. On ne peut trouver plus brûlant d’actualité : rêvée depuis un bail, la Space Force américaine a été remise au goût du jour par Donald Trump, qui construit brique après brique depuis l’an dernier sa réponse militaire aux activités spatiales russes et chinoises, perçues comme des menaces. Des Chinois travaillent-ils aux côtés de McBride sur l’Antenne spatiale internationale, ce colossal échafaudage qui touche les étoiles ? Aujourd’hui en tout cas, les scientifiques chinois ne posent pas le pied dans l’ISS (Américains, Européens, Japonais et Canadiens se partagent la cour de récré). Mais ils ne cessent de réclamer une participation aux futurs projets de cette ampleur. Après tout, ils sont les seuls à avoir un programme lunaire actif en 2019 : un quartier chinois dans une base lunaire serait légitime.
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Cette base, longtemps fantasmée dans la fiction et représentée en centre commercial cauchemardesque dans Ad Astra, devient un objectif tangible de la conquête spatiale. Le programme actuel de la Nasa («Artémis») prévoit, quand la page de la Station spatiale internationale sera tournée en 2025, la construction d’une station en orbite lunaire et le retour d’astronautes sur la Lune pour poser les bases d’un village habité. On y fera de la géologie, de l’astronomie, mais aussi de l’exploitation minière à la recherche de terres rares pour nos composants électroniques, d’hélium 3 pour la fusion nucléaire, et d’eau à transformer en carburant de fusée, pour faire de la Lune une étape-relais et une station-service, un tremplin vers l’exploration de Mars. Des start-up comme Moon Express en font déjà leur business, assumant des ambitions commerciales. Le Traité international de l’espace signé en 1967 interdit théoriquement l’appropriation des ressources spatiales. «Si la Lune est colonisée dans le futur, il y aura des traités, mais ils seront violés tout le temps», prédit James Gray dans un entretien au site Uproxx. Etats-Unis et Luxembourg ont d’ailleurs déjà commencé à violer le texte de 1967 et à encourager ces entrepreneurs avides de ruée vers l’or spatiale… De là à imaginer la Lune gangrenée par la piraterie, comme dans Ad Astra, il n’y a qu’un pas.
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Isolement
Le père de Roy McBride est parti chercher des preuves de vie intelligente aux confins du Système solaire. Il s’est trompé de destination : les chances sont meilleures en «zone habitable», assez proche du Soleil pour trouver de l’eau liquide, comme sur Mars ou dans les océans souterrains des lunes de Jupiter. Les missions spatiales actuelles les plus coûteuses sont dédiées à cette recherche, envoyant des robots renifler l’atmosphère et sonder le sol des planètes voisines. Mais dans la vie comme dans le film, il faudra finir par aller voir sur place. Y envoyer des humains. C’est le plus gros défi de l’exploration spatiale future : comment garder les astronautes en bonne santé physique et mentale dans des conditions d’isolement et d’éloignement extrêmes ?
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Ad Astra s’écarte des sentiers rebattus de l’hibernation et des caissons cryogéniques, un peu trop pratiques pour faire passer le temps, et parie qu’on raccourcira la durée des trajets en poussant sur les moteurs. On n’échappera pas pour autant à des voyages spatiaux longs de plusieurs années. Les recherches scientifiques nous y préparent : la Nasa teste des séjours longs à bord de l’ISS (un an au lieu de six mois) et on multiplie les expériences d’isolement dans les déserts ou sur les pentes de volcans hawaïens avec des cobayes humains volontaires pour se couper du monde. L’aspect social est scruté à la loupe : évolution du moral, niveau de stress, communication dans le groupe, résolutions des conflits… Avec beaucoup d’études et peut-être une pincée d’intelligence artificielle, comme celle qui valide chaque jour l’aptitude au travail de McBride, cette expérience acquise sur la psychologie de l’isolement aidera bientôt les explorateurs spatiaux à laisser sereinement la Terre derrière eux pour aller voir là-bas, toujours plus loin.
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