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Libération

Dickinsonia, le papy de l’océan

Chaque week-end cet été, «le P’tit Libé» explore les grands progrès scientifiques du XXIe siècle. Aujourd’hui, rencontre avec une bête qui peuplait la Terre il y a 550 millions d’années.
publié le 17 juillet 2020 à 17h11
(mis à jour le 17 juillet 2020 à 17h11)

Imagine un tout petit matelas gonflable. Ovale, de la taille d’une pièce de 2 euros, avec plein de traits. Imagine ce petit matelas gonflable au fond de la mer, en train de brouter le sol. Cet être un peu étrange, c’est un dickinsonia. En 2018, des chercheurs ont percé une partie de ses mystères : il est considéré comme le plus vieil animal de la Terre ! Il a vécu il y a plus de 550 millions d’années. Quand on parle de très vieux animaux, on pense souvent aux dinosaures. Mais ce sont de vrais bébés comparés aux dickinsonias, puisqu’ils sont apparus 300 millions d’années plus tard.

«On peut comparer les dickinsonias aux animaux actuels. Certains sont peut-être proches des crustacés, dit Philippe Janvier, directeur de recherche émérite (c'est-à-dire retraité) au CNRS, le Centre national de la recherche scientifique. Ils avaient un corps relativement mou et une bouche qui devait être située quelque part sur leur face ventrale. Tout le monde se creuse la tête pour savoir comment c'était organisé à l'intérieur [de leur corps]. Ce sont des animaux très mystérieux.»

Les paléontologues, qui étudient les êtres vivants disparus, connaissent les dickinsonias depuis longtemps. Les premiers fossiles, ces empreintes laissées dans la roche, ont été trouvés dans les années 40, dans le sud de l'Australie. «Ils ont été découverts un peu par hasard, comme beaucoup de fossiles. Des géologues les ont trouvés en cassant des cailloux», raconte Philippe Janvier. On en a aussi récupéré en Russie et en Namibie, un pays d'Afrique. Mais jusqu'en 2018, les scientifiques ne savaient pas bien quelle sorte d'êtres vivants étaient les dickinsonias. Des végétaux ? Des animaux ? Autre chose encore ? Désormais, l'affaire est donc entendue : ce sont des animaux. Comment le sait-on ? D'abord, parce qu'ils se déplaçaient. «Un animal, c'est quelque chose qui bouge. Généralement, les végétaux bougent peu, et très, très lentement», indique Philippe Janvier. En plus, ils avaient un côté gauche et un côté droit, symétriques, comme la plupart des animaux. Enfin, les scientifiques ont découvert sur les fossiles du cholestérol, c'est-à-dire de la graisse. Or seuls les animaux ont du cholestérol. C'est très rare qu'il en reste après des centaines de millions d'années !

Pour arriver à ces conclusions, les chercheurs ont dû étudier les fossiles de près. «On les regarde au microscope électronique à balayage, un instrument qui permet d'avoir du relief et de grossir énormément, jusqu'à plusieurs milliers de fois. On voit des détails importants et on se dit "ah tiens, ça ressemble à telle ou telle chose"», affirme Philippe Janvier. Ensuite, les fossiles sont broyés et la roche est dissoute avec un produit spécial. Ça permet de ne garder que la matière provenant d'êtres vivants, pour l'analyser. C'est cette matière qui a permis d'y voir un peu plus clair au sujet des dickinsonias. Mais l'histoire est loin d'être terminée, car ces animaux gardent de nombreux secrets. Les paléontologues ont encore pas mal de travail pour les révéler. En plus, les chercheurs étudient d'autres animaux qui pourraient peut-être détrôner les dickinsonias ! «Il y a énormément de recherches sur des animaux beaucoup plus vieux», assure Philippe Janvier. Il faudra encore être (très) patients avant de savoir qui sera le grand vainqueur…