Ce fut une cérémonie sobre et champêtre. Sous un pommier, j'ai creusé la tombe avec une pelle et une pioche. J'y ai jeté le cadavre et posé sur la terre refermée des fleurs de pissenlit. Puis, avec le gardien du cimetière, on est allés manger du raisin sauvage qui poussait pas loin. Reprenons.
10 h 20 : Un corbillard nous attend devant la gare de Rouen Rive-Droite. Nous, c'est moi, l'endeuillé, et un camarade photographe un peu perplexe. Le corbillard est une fourgonnette Renault bleu gris, 260 000 km de routes normandes au compteur. Sur chaque flanc est peint un cygne blanc, le cou tendu dans le sens de la marche. Au volant, entre les deux cygnes, il y a Patrice Quéréel. Gardien de cimetière, bon conducteur, écrivain parfois. Ancien prof de français remercié par l'Education nationale pour psychose maniaque dépressive.
Un homme exposé en vitrine
Cet homme aimable de 57 ans a des occupations singulières. Au printemps dernier, il a passé cinq jours dans la vitrine d'un antiquaire de Rouen sa ville natale, qu'il n'a jamais quittée avec son lit et son bureau. Cette semaine-là, la capitale normande fêtait «l'Art d'exception». Il s'est exposé en tant que «villageois de Rouen».
Souvent, Patrice Quéréel s'en va faire la sieste dans les prés alentour. Voilà quatre ans, sommeillant dans la vallée de l'Andelle, il s'est dit en rouvrant les yeux : «Ce serait merveilleux de se réveiller au milieu d'oeuvres d'art endormies.» Les oeuvres aussi auraient droit au repos, pourquoi pas au repos