La Micronésie, au coeur de l'océan Pacifique, regroupe des milliers d'îles où personne ne va jamais. Pendant une semaine, Libération se rend aux antipodes pour en dévoiler les secrets.
Yap envoyée spéciale
Les dossiers empilés qui forment un rempart de papier, seuls émergent les yeux de Frank E. Ramngan, commissaire de police sur l'île de Yap. Sa voix se hisse des profondeurs, nostalgique de la sieste dont il vient d'être privé. Elle franchit péniblement les six enjambées qui séparent son bureau du canapé où doit s'enfoncer le visiteur relégué au plus loin, dos au mur, à l'autre bout de la pièce.
- «Est-ce que vous avez la déposition de celui qui a découvert le premier radeau ?»
- «Euh, oui...»
- «Il est possible de la lire ?»
- «Elle doit être quelque part par là, dans un dossier...»
La main du commissaire émerge, flotte un instant à la surface des formulaires et, dans un remous de feuilles, s'engloutit à nouveau. Le plus étonnant dans cet entretien fut que, pas une seule fois, le commissaire de police ne cracha.
A l'aéroport, le sol a été recouvert d'une épaisse couche de pourpre pour dissimuler l'habitude qu'ont les gens de l'île de cracher à tout va et en tout lieu. De l'adolescent au vieillard, ils portent la joue gonflée et leurs bouches dessinent de larges sourires ensanglantés par la noix de bétel qu'ils mastiquent avec l'application des vaches au pré, étirant leurs paroles et leurs gestes jusqu'à ce ralenti qui est la quotidienne cadence de Yap.
Gravé dans le bambou
Dans les