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Un destin en noir et blanc

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Décimé après le passage d'un cycloneen 1775, Pingelapse reconstruit dans la consanguinité. Une étrange maladie apparaît alors, rendant des enfants aveugles aux couleurs.
publié le 2 janvier 2004 à 21h37
(mis à jour le 2 janvier 2004 à 21h37)

Pingelap envoyée spéciale

Michelle a un tee-shirt rose et Dalyda un soleil jaune sur son débardeur. Mais elles n'en sauront jamais rien, car les deux petites filles sont, depuis leur naissance, aveugles aux couleurs. Dans ce jardin, sous un ciel livide de chaleur qui englue de moiteur la vallée de Mand, elles ont fermé les yeux pour échapper à une lumière qui restera toute leur vie une blessure permanente. Quelques instants plus tôt, dans la maison commune de la tribu, en dépit de la pénombre, leurs paupières frémissaient comme des ailes de papillon. L'oeil s'ouvrait vite, s'emparait d'un fragment du décor, puis s'abaissait pour retrouver la douceur du noir à la cadence des phares qui balaient la mer d'un regard fracturé. Autour de la table, personne ne s'en étonnait. Dans l'assemblée, quelques adultes, trois adolescents et un petit au sein de sa mère avaient les mêmes regards fugitifs. Le sceau d'une maladie que portent les habitants de l'île de Pingelap.

A l'achromatopsie, cécité congénitale aux couleurs, les gens de Pohnpei ont donné le nom de maskun, «les yeux éteints». Des yeux privés de cônes, ces cellules qui tapissent l'aire centrale de la rétine et permettent la perception de la couleur et des plus petits détails. Aux achromates ne restent que les cellules disposées à la périphérie, les bâtonnets, généralement réservés pour la vision par faible lumière. Un peu comme un conducteur qui n'aurait, ébloui par les phares des véhicules qu'il croise, que ses veilleuses pour a