Il s'appelait Marcel Reggui et il n'y avait pas plus français que lui, vous diront ceux qui l'ont connu. Quand il s'adressait à une assemblée, Reggui commençait toujours d'un sonore : «Bonjour, citoyens.» Il était socialiste, catholique, professeur de lettres, fondateur d'une association culturelle. En 1939, il s'était marié à Henriette, qui enseignait l'anglais. Ils avaient eu cinq filles, Jacqueline, Nicole, Monique, Hélène et Isabelle.
A Saint-Jean-de-la-Ruelle, près d'Orléans, les Reggui recevaient deux fois par semaine, et, à la place de chacun, était calligraphiée une citation choisie par Marcel. Les invités devaient la commenter, puis on parlait de théâtre ou d'opéra.
Marcel avait la peau mate et les cheveux frisés. Il n'avait jamais caché avoir grandi à Guelma, en Algérie, mais il était tellement Balzac, tellement Boulez, tellement Bardot, que «les gens ne le voyaient pas comme Arabe», raconte Jean-Paul Louis, un de ses anciens élèves. En 1996, dans l'église que Marcel avait fréquentée tant d'années, il n'y avait plus un prie-dieu de libre le jour de son enterrement.
C'est sept ans plus tard, au hasard d'un déménagement, qu'ont surgi d'une caisse deux cahiers d'écolier datant de 1945. D'un seul trait, presque sans ratures, Reggui raconte comment deux de ses frères et sa soeur ont été tués par les autorités coloniales, qui redoutaient un soulèvement nationaliste lors des fêtes de la victoire. Ni Henriette, ni leurs filles, ni leurs amis ne connaissaient l'existence des c