Scène de marché dans un patelin provincial, odeur âcre de saucisses paysannes et de riz au curry. «Bien joué Yvan ! On va enfin pouvoir leur montrer qui a le pouvoir dans ce pays !» L'homme, dans la cinquantaine, est radieux. Quelques jours après la nouvelle razzia électorale (près de 30 % des voix) de l'Union démocratique du centre (UDC), il peut enfin serrer la main d'Yvan Perrin, champion du parti populiste dans ce canton de Neuchâtel. Perrin, bourru comme un plantigrade, la joue modeste, presque gêné par l'ampleur du succès : «Merci, merci, lance-t-il à ses partisans qui viennent lui taper dans le dos un à un. Mais le plus dur commence. Maintenant que nous avons imposé nos thèmes, il faut agir. Le temps presse.»
Nous sommes à Couvet, petite cité industrielle du Val-de-Travers, une vallée du massif jurassien, sur l'axe Paris-Berne. Zone frontalière : à un jet de pierre, c'est Pontarlier, le département du Doubs. Matinée d'automne. Soleil rasant sur les hauteurs quand la plaine, du côté de Neuchâtel et son lac, est encore plongée dans le brouillard. Ce canton, hautement civilisé, à la fois ouvrier et patricien, a longtemps semblé devoir rester l'un des derniers endroits de la Confédération helvétique où un parti de la droite musclée, nationaliste et sécuritaire («décomplexée», corrigent ses partisans) parviendrait à s'imposer. Trop lié par l'histoire à la France voisine, trop pétri d'une tradition séculaire d'ouverture sur le monde pour céder aux