Tous les experts en claviers divers sont au moins unanimes sur un point: Ran Blake, le Bostonien minimaliste, et Horace Silver, le Capverdien funky, n'ont a priori rien en commun. Le premier, souvent présenté comme un adepte de ce «troisième courant» empruntant autant au jazz qu'à l'idiome contemporain (Bartók, Ives, Carter, Stravinski...), accordant une place prépondérante aux silences et à la science du toucher; le second, cofondateur avec Art Blakey des inoubliables Jazz Messengers, assumant avec conviction son statut de législateur hard bop. Pourtant, sur son dernier CD, enregistré avec le concours du guitariste David «Knife» Fabris et de l'altiste James Merenda, Ran Blake rend hommage au compositeur d'Opus De Funk, au point de reprendre neuf de ses thèmes, sur les quatorze titres sélectionnés. A sa manière, bien sûr, en gommant l'aspect outrageusement churchy des interprétations originales, pour en accentuer le côté dramatique, minutieux, qui, jusque-là, n'était pas forcément mis en valeur.
Le résultat sonnant plutôt comme un disque de Ran Blake, précautionneux, introverti (avec néanmoins un petit quelque chose, presque indéfinissable, en plus) que comme la conséquence de l'une de ces furieuses séances qu'affectionne tant Horace Silver. Un peu comme si celui-ci s'était vu contraint d'utiliser un instrument bridé, l'obligeant à tempérer son énergie naturelle et par conséquent à lever le pied. Cette espèce de médication nutritionnelle musicale ayant pour effet de souligner