Lorsque aux alentours de 1915, Griffith se pique de réinventer le gros plan, et du même coup la star en enserrant le visage pâle de Lilian Gish dans un cadre sadien, la réponse publique fut unanime quant à la cruauté de l'entreprise : «On coupe les gens en morceaux. On castre ?». Dans un beau renvoi d'ascenseur, Hollywood qui fit sa gloire là-dessus en montant en épingle le minois de quelques jolies plantes éthérées comme Alla Nazimova se promettait d'adapter la plus incestueuse et vénéneuse des coupeuses de têtes : Salomé, belle-fille d'Hérode, guillotine salope tranchant net la tête du prophète Jokanaan.
La version de 1922 de Salomé que propose le Louvre dans le cadre de «Cinéma muet en concert», sous une musique créée pour l'occasion par Marc-Olivier Dupin, est réalisée par Charles Bryant dans un délire judéen du plus bel effet.
L'usine à rêves se voyait bien en Babylone de carton-pâte, regorgeant d'hommes portant de prétendus cothurnes de bronze, pliés aux quatre volontés de femmes phalliques embijoutées, la coiffe surmontée d'un truc en plume. Le film, sous influence Oscar Wilde-Aubrey Beardsley, vaut surtout pour son entreprise d'épuisement de la puissance d'une pellicule orthochromatique capable de transformer n'importe quel visage de femme (ici Nazimova, exilée russe à la blondeur d'orfèvre) en luciole phosphorescente et muette, inventant en direct des créatures carpes à l'épiderme nouveau, des êtres-anges lumineux, d'autant plus cruels.
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