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Libération
Critique

Des mots en sursis

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publié le 4 janvier 2001 à 21h22

Un an déjà que le médecin chef de la Santé, Véronique Vasseur, a dénoncé, dans un livre-témoignage paru au Cherche-Midi, les conditions de vie désastreuses des détenus dans notre démocratie. On y découvrait que, en 1999, 114 prisonniers avaient mis fin à leurs jours (soit la moyenne affligeante d'un suicide tous les trois jours). En sollicitant les auditeurs de Radio France pour recueillir un corpus de lettres de détenus, Jean-Pierre Guéno ­ initiateur de Paroles de Poilus (1998) ­ n'avait nullement l'intention de condamner à nouveau l'administration pénitentiaire. Il préfère pénétrer l'univers carcéral par l'art épistolaire, reproduisant les journaux de captivité ou les correspondances de détenus. Le procédé est indiscret, surtout pas impudique. Dans ce livre, également paru par souci d'accessibilité chez Librio, ledit univers est conçu comme une marelle: «Entre la terre et le ciel, tout au bord de l'enfer.» Et ce qui surprend, au-delà même de la détresse que certaines lettres peuvent traduire, c'est la qualité d'écriture. Des plumes anonymes qui ne rougissent pas de se confronter à celles de Jean Genet (Journal du voleur), d'Oscar Wilde (La Ballade de la geôle de Reading) ou de Paul Verlaine (A la Santé). Des écritures au-dessus du gouffre de l'inhumanité. Celle d'Evelyne, qui mange debout devant sa glace pour voir quelqu'un, pour ne pas manger seule... Celle d'André, qui, dans sa geôle rouennaise, implore Dieu dans une soudaine crise mystique. Et puis, il y a la prison ré