Pourquoi Hegel et Nietzsche, que vous considérez comme les deux plus grands philosophes du XIXe siècle, ont-ils manifesté l'intérêt particulier pour le judaïsme et les juifs décrit dans votre dernier livre?
Hegel a élaboré une construction détaillée de la modernité intellectuelle, à la fois bonne et mauvaise, et a influencé la gauche et la droite, du fascisme jusqu'au communisme, en passant par le libéralisme. A la fin du XIXe siècle, Nietzsche était peut-être le plus grand critique de cette modernité, qu'il voulait miner tout en lui donnant une direction révolutionnairement autre. A la fois par leur puissance intellectuelle et par les effets qu'ils ont eus sur d'autres penseurs, ils incarnent deux pôles de grande ampleur, et opposés. Mais pour critiquer la modernité, il faut comprendre sa généalogie, et, pour tous deux, les juifs (avec les Grecs) ont joué un rôle capital dans cette généalogie. Pour Nietzsche, les deux sources de la décadence moderne sont la pensée rationaliste issue de Platon et la pensée chrétienne. Un stade du judaïsme antique (qu'il nomme «sacerdotal») est responsable de cette décadence chrétienne, tandis que la diaspora des juifs modernes doit survivre comme remède... à cette décadence. Alors que, pour Hegel, les juifs ont déjà rempli leur fonction historique dans l'Antiquité...
Pourquoi ces juifs, ombres fossilisées, constituent-ils un noeud de la modernité?
Pour Hegel, les juifs arrivés «aux portes du salut», en engendr