«Je suis un gardeur de troupeaux. Le troupeau, ce sont mes pensées/ Et mes pensées sont toutes sensations.» De tous les hétéronymes de Fernando Pessoa, ces voix intérieures qui peuplaient son théâtre imaginaire, Alberto Caeiro, l'auteur du Gardeur de troupeaux, est sans doute le plus allègre. Poème bucolique rythmé en quarante-neuf pensées éparses chacune est un mouton qui s'écarte du rang , le Gardeur de troupeaux contient déjà en germe le Livre de l'intranquillité et le Faust auquel Pessoa, comme Goethe, travailla toute sa vie. La nature et l'essence de la pensée, l'exploration du vide sont déjà au coeur de l'écriture. Tout, dans la mise en scène d'Hervé Pierre, tend vers l'écoute: l'espace sobrement conçu par Daniel Jeanneteau, et la présence proche et calme de Clothilde Mollet qui prête sa voix à Alberto Caeiro. Il y a chez cette actrice quelque chose de l'Idiot de Dostoïevski, dans sa façon d'avoir les pieds solidement plantés dans cette campagne du poème et la tête dans une insondable rêverie. Lorsque la toile de fond s'écarte dans une respiration lente et profonde pour ouvrir sur un espace crépusculaire et accueillir les dernières strophes «Sans penser à rien, sans dormir/ sentir la vie couler en moi comme un fleuve en son lit/ et au dehors un grand silence ainsi qu'un dieu qui dort» , la scène offre une passerelle entre ce monde et l'ailleurs.
Montreuil (93) CDN. 26, place Jean-Jaurès. Jusqu'au 3/02; ven. et sam. à 20 h 30, jeu. à 19h30, dim. à 17 h. De 8,5 à 17