John Donne est un contemporain de Shakespeare qui pense qu'entre le ver et l'homme, il n'y a pas photo: à la fin, c'est le ver qui a le dernier mot. Poète, prédicateur, il fut aussi malade. Il a tiré de cette peu riante expérience ces vingt-trois Devotions upon Emergent Occasions. La description de la «maladie» de Donne évoque certes une bonne grosse hypocondrie qui résisterait des quatre fers aux suggestions raisonnables des médecins: «Ils me disent que c'est ma mélancolie: ai-je fait infuser, ai-je absorbé cette mélancolie en moi? Ce sont mes réflexions: n'ai-je pas été créé pour réfléchir? (...) Mais moi, je ne m'inflige rien, et pourtant je suis mon propre bourreau.» La maladie n'est de fait pas vraiment la question, puisque de l'amélioration de sa santé, Donne ne retient qu'une angoisse: «Maintenant que je suis debout, je suis prêt à sombrer plus bas qu'avant.» C'est plutôt la solitude de l'homme dans son corps qui est en jeu: «Sa misère est positive et dogmatique, son bonheur contestable et problématique», car «mon corps tombe sans qu'on le pousse, mon âme ne s'élève pas sans qu'on la tire». Conjuration, rumeur, diffamation: le poète baroque étend sa réflexion au corps de l'Etat et file la métaphore. Le plus grand péril vient toujours de l'intérieur. Heureusement, comme le résume Franck Lemonde dans sa préface, «l'absence de place» est désormais «le lieu où [l'homme] est sûr de se trouver», façon pour la pensée «donnesque» d'affronter «ce tout incohérent sans perdre sa
Critique
L'ennemi de l'intérieur
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par Eric Loret
publié le 8 février 2002 à 22h08
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