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Libération

Le Disneyland du passé

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publié le 15 février 2002 à 22h17

La France est au goût des autres. 76,2 millions de touristes l'ont visitée en 2001. On est champions du monde de foot depuis quatre ans mais depuis dix ans, on était déjà le premier parc naturel national, et le premier musée, de la planète. Jadis, une avant-garde nous enviait Sartre et la Nouvelle Vague; elle arpentait Saint-Germain-des-Prés en fumant sous la mèche de Jean-Pierre Léaud. Greco était le nom d'une femme de Paris. Aujourd'hui, le gros du bataillon des vacants du grand village se rafraîchit et s'émerveille avec Zidane, le Louvre, Orsay, Notre-Dame-de-Paris et Amélie of Montmartre; il s'ébroue dans la campagne française si belle, si verte, si vide, où meurt l'autochtone et où le RMiste s'angoisse dans une baraque mal retapée entre quelques bourgeois post-rousseauïstes. La France est au goût des autres, mais moins des siens. On y consomme plus qu'ailleurs des médicaments psychotropes, une pratique tranquillisante comme une autre. On s'y suicide beaucoup. On y casse pas mal quand on est jeune. On y proteste énormément quand on l'est moins. On y pasquaïse, on y chevènementise, on y lepenise. On y post-vichyse et on y post-gaullise. On y regrette, on y râle, on y nostalgise. On s'y chauffe et s'y brûle le cher vieux nombril au fer blanc de l'Hexagone. Parfois même, on y mangerait volontiers Racine par le pissenlit. En fait, le pays subit sa mutation. Aujourd'hui, chacun doit être le meilleur dans sa petite spécialité: la France le devient dans le rôle de monument. La