Affalé dans son divan, une bouteille de whisky à la main, un homme fixe sa télé grésillante, le regard vide. Dans sa tête se bousculent d'étranges pensées. Celles d'un amant fou, d'un psychopathe qui chuchote à l'oreille de sa victime ses criminelles intentions. Mais l'objet de son désir implacable n'est pas une femme. Elle, c'est Tokyo, «Tokyo mon amour». Lui, Godzilla.
Chrysalide. Le spectateur assiste, dérouté, à la mutation de l'homme en monstre. «Je peux sentir à quel point tu me veux», déclare-t-il à la cité, intimement convaincu non seulement de sa beauté mais aussi de sa nécessité. «Sans moi, sans la chose qui est sur le point de se produire, il n'y a pas d'échappatoire aux chaînes du quotidien : amener les vêtements à la buanderie, laver la buanderie, plier les vêtements, les ranger. Qui pourrait le supporter ? Qui pourrait aimer une vie pareille ?»
Du stade larvaire (roulé dans sa couette comme une chenille), il passe à celui de chrysalide (il confectionne son costume) avant de se métamorphoser en insecte. Revêtu de son déguisement, il monte dans sa Jeep, et s'arrête au milieu d'un parking. Il traverse l'allée vide, en remuant ses risibles ailes et se dirige vers un dinosaure géant en baudruche garé dans un coin, prêt à envahir la ville : «Tu sais ce dont je parle. Cette chose en toi qui réclame un ouragan, un incendie, une inondation, qui veut entendre le battement des ailes géantes, [...] mes ailes fondant sur la cité, ma bouche crachant des jets de flammes [...].»