L'Homme sans qualités, de Musil, montre qu'en Occident vivre la médiocrité du quotidien est devenu un héroïsme, peut-être le seul. Mais il le montre héroïquement. Soixante ans plus tard, il pleut des livres sans qualités : qui montrent médiocrement l'héroïque médiocrité du quotidien. Ces ouvrages allégés, de surface, conviennent à beaucoup de lecteurs. Comme on dit à la télé, ils s'y «reconnaissent» : ils confondent la petite saveur superficielle de l'évidence, qui les flatte et les chatouille, avec les arrière-goûts, plus râpeux et plus complexes, de la réalité.
Le dernier roman d'Anna Gavalda, Je l'aimais, entre dans cette catégorie. Son succès n'est donc pas surprenant. Son précédent recueil de nouvelles, Je voudrais que quelqu'un m'attende quelque part, a servi de produit d'appel. Les amateurs retrouvent sans doute aujourd'hui, en plus délayé et plus paresseux, la même petite muzak du coeur. Une jeune femme, Chloé, vient d'être larguée par son mari, Adrien. Pour la dernière fois, elle part avec ses deux fillettes, Lucie et Marion, mais surtout avec le père de son ex, Pierre, dans la maison de campagne de celui-ci. C'est le moment des confidences en cuisine entre belle-fille et beau-papa. Chloé a bien du malheur, mais c'est l'ancien qui, en lui bavardant comment il a renoncé par faiblesse à l'amour de sa vie pour préserver sa famille, semble tirer la morale de l'histoire : il faut suivre son gros désir, sinon les enfants seront malheureux, et de toute façon, quel que soit