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Libération
Critique

Sándor Márai Casanova s'interroge

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publié le 26 avril 2002 à 23h11

Giacomo Casanova n'est pas beau. Ni jeune ni élancé. Il est Casanova, et son corps trapu, son visage dur, son allure fauve, savent faire leur entrée dans les théâtres clinquants comme dans les pires bouges. Aux yeux frileux, il apparaît tel le diable, splendide ou inquiétant. Les hommes ont leurs lois mais Giacomo appartient à ce genre qui passe outre, car «il existe une autre loi, [...] une vertu qui n'est autre que la confiance absolue en notre être, notre destin et nos inclinations».

Giacomo est libre, il vient de passer seize mois claquemuré dans les geôles de Venise, s'est réfugié dans une ville terne ; il a toujours été libre. «La vie était merveilleusement généreuse tous les jours avec ceux qui ne la craignaient pas.» Et ceux-là trouvent toujours, à la table de jeu ou dans les bras des femmes, «l'arcane contre l'ennui». De même dans la ville de Bolzano où, en deux jours, Giacomo passe du statut d'étranger aux mains vides à celui de prince étrange, choyé par l'aubergiste, le barbier, le tisserand. Le hasard veut aussi qu'une femme, Francesca, épouse du comte de Parme, y réside. Et c'est tout un passé écarlate qui regrimpe au front de Giacomo. Francesca est la seule qu'il n'a pas eue, qu'il a fuie. Qu'a pu fuir un être comme Casanova, sinon sa propre faiblesse, son sentiment, cette chose, la seule, sur laquelle il n'a pas prise ? Dans ce bout de biographie romancée, parue en 1940, Sándor Márai s'est amusé à jeter le jouisseur pur dans la seule situation mettant en questi