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Libération

Des chiffres et des lettres

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publié le 12 juillet 2002 à 0h23

Chaque année, fin juin, un automne prématuré de feuilles encore vives, bientôt mortes, tombe sur les journaux : les romans de la rentrée. Ils tombent chaque jour, solitaires ou en groupe, embusqués ou annoncés, franc-tireurs ou troupes régulières. La valetaille des sans-grade précède ou fait cortège aux anciens, aux galonnés, aux généraux. Les uns sont prêts à lire les yeux fermés, ça va plus vite ; les autres les attendent au coin du fossé, douze mots dans la peau. On guette surtout les nouveaux hussards, les cavaliers de l'orage : ces champions qui débarquent plume au clair, les guêtres pleines de boue, dans la fumée d'un scandale canonné. On vante leurs muscles, leur agressivité, leur insolence : leur nouveauté. On veut savoir laquelle de ces bombes explosera. On veut la prévoir, l'annoncer. On voudrait l'avoir inventée. Mais on craint avant tout, comme Fabrice à Waterloo, de n'avoir rien vu et de passer à côté. Bref, dans la rumeur de la bataille qui s'annonce, il faut se placer. Choisir son camp, ses couleurs, ses champions, ses ennemis. Cependant, chaque année, il se dit la même chose pendant cette drôle de guerre : «Les éditeurs sont devenus fous ! Trop de feuilles mortes, on n'y voit plus rien ! Trop de livres tuent les livres ! Au feu, au feu !» Comme si les uns publiaient trop pour que les autres puissent regretter de ne pas lire assez. Comme s'il fallait refroidir, par un jet de lassitude indignée, l'excitation, la curiosité, le snobisme nerveux. Ou comme si édite