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Libération

L'impossible beauté

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publié le 18 avril 2003 à 22h54

L'envoyé spécial du Monde à Bagdad regarde les bombardements dans la nuit. «Il faudrait dire, écrit-il, la mortelle beauté de toutes ces gerbes de feu qui explosent au milieu d'une cité terrorisée et fataliste» : tollé de plusieurs lecteurs. Comment peut-on écrire que la guerre est belle ? Celui du Nouvel observateur diffuse son journal quotidien sur le site internet de l'hebdomadaire (www.nouvelobs.com). Un jour, pendant les bombardements, il voit «les papillons rouges». Il l'écrit. L'article est trop long. On coupe l'expression. Incongrue, inutile. Il le comprend, mais l'explique dans son journal de bord. Les «papillons rouges», il les a vus ; puis c'est le nom d'une hallucination visuelle. Les papillons noirs sont ceux de la mélancolie ; les rouges, ceux de l'illusion ; ou, ici, du désastre. L'expression est-elle trop recherchée ? Trop frivole pour le contexte ? Trop «littéraire», comme disent ceux qui lisent peu, et pour qui un livre, ce ne sera jamais ni la vie, ni la mort ? Au regard des victimes, cette réflexion sur les mots en guerre peut sembler vaine. Elle ne l'est pas. Tout ce qu'un homme perçoit et sent d'un conflit, il devrait pouvoir l'écrire : les victimes, et le reste ; et la beauté, si elle y est. Les mots sont là pour rétablir la nuance, l'humanité, la sensualité, la perversité, là où précisément tout semble disparaître dans le rapport de forces et de cadavres. Ils tentent de circuler comme des oiseaux, des fantômes, des silhouettes souples, entre les obus