D'un air sévère et las, déjà presque absent, la prof de lettres rassemble ses djeuns devant la librairie. Ce sont des collégiens de banlieue, aux trois quarts noirs et arabes. C'est une librairie parisienne de bonne compagnie, exposant des livres choisis aux regards du Collège de France. C'est une visite. La prof les regarde une dernière fois, comme si elle n'y croyait pas : elle, eux, ici. Puis elle leur dit : «Entrez, en silence.» Ils entrent donc, un par un, avec une lenteur folle, comme des condamnés allant à l'échafaud, mais un échafaud dont ils ignoreraient tout : le supplice, le bourreau, les règles, le public. On ne leur a pas coupé les cheveux avant d'entrer. On ne leur a pas offert un dernier joint, un dernier Loft, un dernier McDo. On ne les a pas confessés et ils n'ont rien lu. Ils pénètrent le crâne bas, comme face au vent, un vent force 10, le vent méchant et lointain de la littérature. Les meilleurs de ces livres parlent pour eux et ils ne le savent pas. Une fois dedans, ils s'arrêtent d'abord. Ils n'ont visiblement jamais vu ça. Les livres, ils les croisent à Auchan. Pas forcément les mêmes, pas disposés comme ça : des conserves, des surgelés, des promotions de livres noyés dans le reste, dans leurs vies. Ici, c'est différent : il n'y a que ça. L'endroit est propre, silencieux, presque désert. C'est une clinique de mots écrits. Les malades sont bien disposés sur les billards. Ils attendent leurs chirurgiens, leurs lecteurs. La prof ne dit rien à ses élèves. E
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