L'autre jour, dans une cabine, une adolescente téléphone à son père, à ses cousins, là-bas, en Afrique. Ils lui donnent des nouvelles du pays, elle parle fort. La conversation bondit, rebondit, dure. Derrière, la queue s'étend. Ici, les étrangers appellent au loin avec des cartes. Tous écoutent la jeune femme, jusqu'à ce qu'un éducateur de l'hôpital voisin qu'elle venait de quitter la remarque et la reprenne en charge : elle est schizophrène et téléphonait dans le vide. Jadis, seule dans l'herbe, Jeanne d'Arc entendait des voix en gardant ses moutons. Aujourd'hui, seuls dans le goudron, des gens entendent des voix en protégeant leurs ombres. Ils sont de plus en plus nombreux, et de deux sortes. D'une part, les propriétaires de portables avec oreillettes. D'autre part, les fous. Mais voilà le nouveau : depuis que le portable est invisible, on les confond. Cette confusion trouble, car elle oblige à trier : lequel est le fou ? Lequel est le communiquant ? Ce n'est pas clair. Il faut s'approcher, écouter, observer. Il faut se demander ce qui, dans cette société, superficiellement, caractérise un fou. Cas pratique sur la vieille division, toujours aussi inquiétante, du normal et du pathologique. Et parfois, on a beau regarder, on ne trouve pas : sur le trottoir des villes, il arrive que le communicant et le fou se fondent dans les regards des autres. A priori, le communicant parle à quelqu'un : à son conjoint, son copain, son associé, son employé, la nounou de sa fille, son patro
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