Vous êtes affalés chez vous sur des poufs. Votre ami Louis vous conseille d'acheter le dernier Beyoncé. Il vous ressert du thé à la menthe. Soudain vous ressentez la fulgurante certitude d'avoir déjà vécu ce moment. Le thé. Louis. Les poufs. Beyoncé. Les scientifiques appellent «paramnésie de certitude» ce trouble psychosensoriel. Une patiente du psychanalyste Sandor Ferenczi attribuait même ses fréquentes impressions à une vie antérieure de crapaud. On appellera «déjà ouï» l'équivalent auditif/phonique du «déjà vu». Il nous tombe rarement dessus comme Tonight, de Sibylle Baier. Quand Louis, celui du thé, des poufs, de Beyoncé, glisse le disque dans la platine, une plainte s'élève, qui chante («déchante» serait plus juste) d'une vie antérieure, d'un temps immémorial. Reconnaissance formelle, en une seule écoute, de la potentielle compagne de suicide de Nick Drake, l'infirmière dévouée de Leonard Cohen, la jumelle psychasthénique de Nico, la mère absente de Chan Marshall (Cat Power), etc. Sibylle Baier, chanteuse allemande, a enregistré ses morceaux en 1970-1973. Puis elle les a enfermés dans un tiroir, comme un journal devenu trop intime. Exhumé trente ans après, Tonight constitue un objet très particulier. Une immaculée conception musicale, virginale, sans enjeu commercial (à l'époque). La bonne «mère» finalement. Puisque personne n'y a «touché» depuis trente ans. Ce mystérieux standard lo-fi rivalise maintenant avec les monuments fantomatiques de l'histoire d
La sensation de «déjà ouï»
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par Emmanuel PONCET
publié le 30 septembre 2006 à 23h29
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