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Libération

''Du matricule à la signature''

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par Yasmina Khadra
publié le 16 mars 2006 à 20h37

Je suis né bilingue, à Kenadsa, un ksar séculaire aux portes du Sahara algérien. Je porte dans mes gènes la passion du verbe, héritée de mes ancêtres, les Daoui el-Maniâ, une tribu de sages qui fascina Isabelle Eberhardt et le père Charles de Foucault avant d'accueillir, parmi les siens, Robert Lamoureux, Pierre Rabhi, Malika Mokeddem et Alla le virtuose du luth. Enfant, je passais de l'école française à l'école coranique sans le moindre préjugé : je m'instruisais. Je voulais être poète comme grand-père, percevoir le pouls des êtres et des choses dans la musicalité des mots et surmonter les vacheries de l'existence grâce à mes chants. Je ne garde de mon instituteur que le souvenir d'un tableau zébré de traînées de craie, et de mon taleb celui d'une planche grouillante de vermicelles d'encre brune. C'était la guerre ; et toutes les symphonies du monde battaient en retraite devant la chorale dissonante des canons.

Au lendemain de l'indépendance, en septembre 1964, mon père me confia à l'Ecole militaire des cadets pour m'initier aux métiers des armes et faire de moi un officier. J'avais neuf ans. J'ai porté l'uniforme comme une tunique de Nessus, sans renoncer une seule seconde à mon rêve d'enfant : la littérature. Ainsi que j'ai réussi, dans une institution aux antipodes de la vocation d'écrire, à créer mon monde. Trop poltron pour déserter, je n'avais qu'à ouvrir un livre pour me tailler une brèche dans la forteresse médiévale qui me retenait captif de sa rigueur et de ses int