Mon père a donné l'hospitalité de sa terre à ma mère. Ma mère a donné l'hospitalité de sa langue à mon père. Je suis née entre terre et langue. Terre natale outre-mer, steppe des hauts plateaux, Aflou, petite ville coloniale avec village nègre où passe Isabelle Eberhardt, Isabelle «l'Algérien». Aflou que je ne connais pas, où des Juifs parlent l'arabe de leurs frères musulmans, où les colporteurs sont kabyles, où les Européens sont presque tous espagnols, où les belles prostituées du djebel Amour ne vivent pas dans un quartier réservé, où les caïds habitent les maisons du centre administratif.
Aflou où les mains de «Mademoiselle», infirmière diplômée de l'Etat français, native des Vosges, me mettent au monde dans la langue de ma mère, la Roumia, la Française, l'étrangère. «Mademoiselle» parle l'arabe des nomades qu'elle visite jusqu'à la nuit, grande cavalière, ma mère, non. Une sage-femme musulmane aurait-elle assisté ma mère dans ce moment où je nais au pays de mon père, j'aurais entendu la première langue, la langue de mon père, l'Arabe. Mais non. C'est la langue de France de deux Françaises de France qui me reçoit, la langue claire des rivières, de ce pays au-delà de la mer blanche où l'eau tracée en bleu sinueux irrigue la carte de géographie, la rêverie de mon père, qui m'accueille ce jour-là, la première fille, dans la langue du pays de la jeune épouse, la langue d'amour.
Dans l'ombre, l'autre langue. Ni la mère ni les soeurs du fils préféré pour la parler, pour dire le