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Libération

''Les affres des greffés du coeur''

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par Tierno MONENEMBO
publié le 16 mars 2006 à 20h37

La langue peule, il la tète, la langue française, il la gobe. Le peul, c'est sa langue de lait ; le français, sa langue de lettres. La première lui vient de la mère, la seconde, des maîtres (le maître blanc, le maître d'école, le maître de maison). Celle-là lui est innée, celle-ci, acquise. Sa culture est une drôle de cacophonie, un improbable amalgame. Sa mère lui a toujours parlé comme ceci et son père, comme cela. Pas bien rassurant, comme héritage ! Aujourd'hui, il a fini par s'en accommoder, mais cela n'a jamais été simple. Longtemps, il a connu les affres des greffés du coeur : plein de chocs et de contagions, d'allergies et de rejets.

Rien, mais alors rien, ne le prédestinait à s'exprimer. L'univers dans lequel il a vu le jour disait l'amour et le rêve, le goût du lait et les couleurs du monde avec des mots inconnus de Villon et de Vaugirard, de Molière et de Hugo. Les gens de son monde ignoraient ce que voulaient dire dévorer ou se sustenter, daigner ou expectorer. Ils chantaient la femme et la vache sans user de l'alexandrin et bâtissaient leurs mythes et leurs épopées sans le concours du dictionnaire. Ça, c'était avant Bayol et Sanderval, Faidherbe et Gallieni.

La langue française lui est arrivée dans le bagage du colonisateur. Cela fait longtemps, mais il ne sait toujours pas comment la prendre : butin de guerre, comme le préconisait Kateb Yacine, ou malédiction divine ? Les deux, sûrement ! Cela fait moins de tiraillements, comme ça. Il a compris qu'il vit une époq