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Libération

''Les mots qui m'ont sauvée de la détresse''

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par Chahdortt DJAVANN
publié le 16 mars 2006 à 20h37

Pourquoi écrivez-vous en français ? Une question si directe exige une réponse directe ; seulement il est plus aisé de formuler de bonnes questions que de donner de «bonnes» réponses.

J'aurais bien voulu, pour plaire et satisfaire, dire que j'ai écrit en français par amour de la langue française, mais ce serait faux : comment aimer une langue sans en connaître un mot ? Comment aimer Mozart sans avoir jamais écouté du Mozart ?

J'ai toujours voulu écrire, bien avant même de savoir lire et écrire. J'avais vu mon père rédiger des lettres en tenant à la main son stylo à plume ; c'était l'acte le plus noble qui fût aux yeux de l'enfant que j'étais. Il n'y avait pourtant rien de noble dans l'écriture de mon père, il ne s'agissait que des lettres adressées aux différentes administrations avec lesquelles il était toujours en guerre.

Lorsque je suis arrivée en France à l'âge de vingt-cinq ans, hélas trop tard, je ne savais pas un mot de français. Il était si difficile pour moi de prononcer «comment allez-vous ?» que je me disais, en persan : «Mais les Français, ils ne peuvent pas parler comme tout le monde ?» Ce «tout le monde», bien entendu, désigne généralement les gens qui nous ressemblent ou ceux dont nous pensons qu'ils nous ressemblent. Les Français ne ressemblaient point aux Iraniens, ni le français au persan. Mais dès la première nuit, à Paris, j'ai su d'intime conviction que je deviendrais un écrivain ; l'ivresse de cette première nuit parisienne fut telle que la question de savo