J'aimais davantage le français que l'anglais quand j'étais élève. Etait-ce à cause de Brigitte? Etait-ce à cause de Pascal ? J'avais vu la Femme et le pantin, j'avais étudié les Pensées. Le lycée que je fréquentais à Athènes était grec bien sûr, il était cependant géré par les frères maristes. Je n'aimais pas beaucoup les frères, à l'exception d'un seul qui portait un nom français : Chrysologue, «parole d'or».
A dix-sept ans j'ai eu une bourse pour partir à l'étranger et j'ai choisi la France. Etait-ce à cause de Jean-Luc? La nouvelle vague venait de faire ses débuts. Je me suis trouvé à Lille, à l'Ecole de journalisme. Je connaissais le français bien moins que je le croyais. Je confondais midi et minuit. Je me suis appliqué à apprendre la langue pour achever au plus vite mes études et repartir en Grèce. Paradoxalement, l'étude du français me rapprochait de mon pays.
C'était une illusion évidemment. Je rêvais déjà de devenir romancier. Les mots français stimulaient mon imagination, m'offraient un champ de jeu supplémentaire. Eugène le Roumain et Samuel l'Irlandais triomphaient sur les scènes parisiennes. Je me suis contenté pour ma part de composer cette épitaphe pour ma tombe : Dieu n'existe pas, je suis bien placé pour le savoir. Cela m'attristait moins de songer à ma mort en français qu'en grec.
Le coup d'Etat des colonels en avril 1967 a bousculé le cours de mon existence. Je me suis installé à Paris fin 1968. C'est donc en français que j'ai fait mes débuts dans le journali