«Vous m'avez appris votre langue/ Et tout ce que j'en ai tiré/ C'est de savoir lancer des malédictions :/ Que la peste rouge vous emporte/ Pour m'avoir appris votre langue», lance Caliban à Prospéro qui l'a asservi et lui a volé sa terre. Prospéro, convaincu de sa mission civilisatrice, répond avec les mots du vocabulaire colonial : «Un démon. Un démon né. Sur sa nature, l'éducation ne prend pas. Tous mes efforts pour l'élever : peine perdue. Ma bonté : inutile. C'est sans espoir.» Le vocabulaire de l'idéal colonial éducatif et d'une bonté inhérente à la mission de colonisation convainc le colonisateur de sa supériorité. Sa langue est celle de la civilisation et de l'ordre. Mais le colonisé retourne, avec ironie, moquerie, ou force le vocabulaire du colonisateur pour lui en montrer les limites, les oublis et les faces d'ombre.
Cependant, la question peut revenir hanter l'écrivain, l'artiste, le chercheur. Les mots du colonisateur sauront-ils faire entendre les témoignages des opprimés ? Le vocabulaire du colonisateur n'a-t-il pas servi à justifier le crime ? La langue n'est-elle pas porteuse d'une culture, et, dans ce cas, la langue du colonisateur ne traduit-elle pas une culture nationale méprisant la diversité des cultures ? Peut-on faire confiance à une langue qui à la fois dit l'universalité des droits et organise, par son vocabulaire même, l'exclusion, l'exception ? Le vocabulaire colonial et sa taxonomie raciale n'appartiennent-ils pas à la langue française, et, dans ce