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Libération

Le retrait de Russie

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Si le français s'est effondré sous les coups de boutoir de la révolution et de la perestroïka, la langue et la littérature russes restent truffées de mots issus de l'héritage des Lumières et des conquêtes napoléoniennes.
publié le 16 mars 2006 à 20h37

Moscou de notre correspondante

Vous parlez le français ? me demanda-t-elle en répondant à ma révérence.

­ Non, madame, je ne parle que la vérité ! répondis-je.

­ Qui vous écoutera ?, dit-elle en haussant les épaules.»

En 1906, bien après le siècle d'or du français en Russie, l'écrivain Maxime Gorki consacre encore un pamphlet, Belle France, à l'insupportable manie de ses compatriotes de jaser à la façon de Molière. Pour Gorki le révolutionnaire, la France ne dégage plus qu'une «odeur épaisse de fausse distinction et de dépravation intellectuelle» qu'il faut combattre en Russie. Depuis deux siècles, la Russie a trop singé la France et il conviendrait de revenir aux vraies valeurs russes.

La grande époque du français en Russie a commencé sous le règne de Pierre le Grand (1682-1725), qui, bien que surtout fasciné par les navires hollandais et les techniques allemandes, a aussi ouvert la Russie sur la France. «A partir de Pierre Ier, le français s'est imposé en Russie tout simplement parce qu'il était alors la langue de la culture en Europe, retrace la traductrice Véra Miltchina. Lire les livres français, c'était entrer dans le champ de la civilisation. Et c'est en imitant les auteurs français que notre propre littérature a commencé à se développer.» Le russe de l'époque était soit un langage parlé, assez mal dégrossi, soit le vieux slavon, langue écrite et parlée de l'Eglise, qui se prêtait mal lui aussi à l'expression des nouveaux sentiments éclos au XVIIIe siècle. Soucieuse de rat