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Libération

""Un lieu profond où exister""

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par Gaétan SOUCY
publié le 16 mars 2006 à 20h38

J'écris en français exactement pour les mêmes raisons que Cervantès écrivait en espagnol. A un douanier à Londres, moustachu et sympathique, qui me demandait un peu laborieusement : «Vous parlez la langue française ?», j'avais eu la tendresse de répondre : «Y en a-t-il d'autres ?» La langue est le lieu profond où exister. On peut en tirer des conséquences à vomir (Heidegger). On peut aussi, un petit peu mieux peut-être, y voir le prisme intime et solidaire à travers lequel on tente d'apprivoiser l'extrême difficulté de vivre dans un monde. Toutes les langues, à ce titre, sont la plus grande langue du monde. Le français est magnifique, irremplaçable, ni plus ni moins que l'innu, cher à mon coeur. J'ai essayé en anglais, avec honnêteté : le résultat fut un vertébré auquel on aurait retranché les os. Avec une admirable ténacité j'ai même, de 1987 à 1990, tenté ma chance dans l'étrange sabir de Sôseki et Kawabata : mais un certain Mishima avait posé un bâton de dynamite au sein de cette méduse qu'est la langue littéraire nippone, et qui, de ce fait, explosant de tous ses bras dès les premières lignes des Confessions d'un masque, interdit à jamais au néophyte que j'étais de me croire tiré d'affaire en m'en tenant à la sacro-sainte brièveté de la phrase qu'était censée autoriser de la culture japonaise la plus haute tradition.

Au demeurant, il y a tout autour de moi suffisamment de personnes qui vont mourir en français. J'y vois en toute candeur une bonne raison de continuer de l'é