Paru le 6 septembre 1988
Mourmelon-le-Grand envoyé spécial
«Vous allez à Reims ?» «Euh... oui. Monte !» Mon hésitation a dû lui sembler suspecte. Ma deuxième phrase se veut engageante : «Ça fait plaisir de voir qu'il y a encore des gars qui font du stop dans le Triangle des Bermudes !» J'accumule les maladresses. Encore une phrase dans ce genre et il saute en marche au prochain carrefour.
Sa moustache encore juvénile n'arrive pas à durcir les traits de son visage d'adolescent. «On ne doit plus être que deux à faire du stop le soir à Mourmelon. Les gens ne s'arrêtent plus. Il m'est arrivé d'attendre jusqu'à 2 heures du matin.» Tous les soirs, il rentre à Reims : 31 kilomètres. «Le plus souvent, ce sont des gradés qui prennent. On les reconnaît au premier coup d'oeil. Ils nous conseillent de faire du stop à deux.»
Le camp de Mourmelon est à la fois sinistre et rassurant. L'étroite imbrication des bâtiments militaires et civils fait de la frontière entre le camp et le bourg une simple vue de l'esprit. Dès le jeudi, en fin de journée, les treillis des gradés et des engagés venus en voiture donnent à la vaste place rectangulaire de Mourmelon-le-Grand (Marne) des allures de village occupé. Entre le quartier Féquant, où est cantonné le 4e régiment de dragons, et la gare de Mourmelon-le-Petit, les appelés en jeans et blouson s'égaillent au long de la Voie romaine, territoire militaire réapproprié par les bidasses rendus à la vie civile le temps d'une permis