Il est là, avachi dans le canapé, quand j'ouvre la porte, il soupire.
C'est tous les soirs qu'il soupire quand je rentre du boulot. Ça va ?
Il répond pas. Il soupire. Jamais vu un homme soupirer comme lui. Et le soupir sonore, bien gras. Héréditaire ? Ses parents sont plus là pour le dire et je ne les ai pas connus. Je prépare le dîner. C'est prêt, tu viens ? Il remet ça en s'extirpant du canapé. Il pourrait faire ça gentiment, avec un petit mot doux ou rien du tout, un gentil silence, Mais non. Faut qu'il soupire. Et lourdement comme un buffle, un boeuf, ce qu'on dit. Il se traîne, racle ses babouches sur la moquette, s'assoit en soupirant, tend son assiette et je lui sers sa soupe. Tous les soirs c'est le même cirque. Il lui faut toujours de la soupe, ça fait grandir qu'il serine encore à son âge, ce nabot. Et vas-y que je t'enfourne, des grandes cuillerées bien sonores. Avant, il était pas comme ça, avant c'était un bel homme, avant. Lape mon gars, lape-la ta sousoupe. J'en peux plus. Vingt-sept ans qu'on est ensemble. C'est pas une vie mais c'est ma vie. Combien de fois j'ai essayé de le secouer, lui et sa bedaine. C'est à cause qu'il n'a pas de boulot me disent les copines. Négatif. Ça fait une paye qu'il décline, se laisse aller, se ratatine, ah c'est vrai, s'ils lui avaient laissé un petit truc à faire dans un coin, une bricole. Avant on allait se promener dans les bois de Chauzy, on allait même au ciné quand il y en avait encore un. C'est loin tout ça.
T'en reveux ? Il