«Clarifier», mais pas s’excuser. Dans un billet de blog publié le 11 mars sur le site Mediapart, la philosophe américaine Judith Butler est revenue sur ses propos polémiques tenus huit jours plus tôt à Pantin lors d’une rencontre intitulée «Contre l’antisémitisme et son instrumentalisation, pour la paix révolutionnaire en Palestine». Invitée à l’événement par des organisations antisionistes comme l’Union juive française pour la paix (UJFP), le collectif juif décolonial Tsedek ! ou le NPA, l’intellectuelle y avait déclaré : «Nous pouvons avoir des positions différentes sur le Hamas comme organisation politique ainsi que sur la résistance armée» avant d’affirmer «mais je pense qu’il est plus honnête, et plus correct historiquement, de dire que le soulèvement du 7 octobre était un acte de résistance armée. […]. Ce n’est pas une attaque terroriste, et ce n’est pas une attaque antisémite. C’était une attaque contre les Israéliens.»
Le scandale suscité par ses phrases n’aurait peut-être pas pris une telle ampleur si la professeure émérite à l’université de Californie à Berkeley en était à sa première sortie. Quelques mois après le 7 octobre, une vidéo circulait dans laquelle on pouvait l’entendre en 2006 expliquer que le Hamas et le Hezbollah relevaient des «mouvements sociaux progressistes et de gauche», en raison de leur dimension anti-impérialiste, «ce qui n’empêche pas d’être critiques» de ces organisations.
Sur Mediapart, Judith Butler persiste et signe, tout en réinscrivant ses propos dans un cheminement philosophique sur l’égalité et la paix. Constatant «avec tristesse les efforts déployés pour déformer et caricaturer» sa pensée, la philosophe, membre de la Jewish Voice for Peace, une importante organisation juive et antisioniste américaine, maintient la nécessité pour elle «d’interpréter ces attaques, aussi horribles soient-elles, comme une tactique politique». Et d’enfoncer le clou : «Je reste disposée à décrire cette attaque comme une forme de résistance armée à la colonisation, et au siège et à la dépossession en cours.» Tout en soulignant : «Cela ne revient pas à glorifier leurs atrocités. Et cela ne signifie en aucun cas que je soutiens les actions du Hamas ou que je considère que leurs actions sont justifiées. […] Expliquer n’est pas exonérer.»
«Toutes les formes de “résistance” ne sont pas justifiées»
Elle reconnaît «que l’on peut clairement entendre de l’antisémitisme dans les enregistrements qui nous sont parvenus» tout en réaffirmant que «la principale motivation du Hamas était de défier une puissance militaire coloniale pour montrer qu’ils étaient capables de faire une incursion sur le territoire israélien, de tuer et de détruire, de frapper Israël là où cela ferait mal. Toutes les formes de “résistance” ne sont pas justifiées, et certaines, comme celles-ci, appellent véritablement une condamnation». Elle évoque notamment les violences sexuelles «inexcusables» commises par le Hamas.
Selon la théoricienne phare des études de genre, la recherche d’une résolution pacifique du conflit implique de «trouver les moyens de comprendre les raisons de la violence», car «si nous voulons demander aux gens de déposer les armes – et j’espère que telle est notre volonté – nous devons comprendre pourquoi ils les prennent». Réaffirmant son attachement aux idéaux de non-violence, l’intellectuelle pose «la fin de la domination coloniale» comme préalable nécessaire à toute idée de «cohabitation» entre les deux peuples. Judith Butler, invitée d’honneur de la saison culturelle du centre Pompidou jusqu’au 28 avril 2024, affronte depuis le 7 octobre plusieurs déprogrammations d’événements la concernant : en décembre, la mairie de Paris avait annulé une conférence pour la paix en Palestine en raison de «possibles troubles à l’ordre public» avant que l’Ecole normale supérieure (ENS) n’annonce le 5 mars le report de deux conférences qu’elle devait y livrer en début de mois, sur le thème du deuil.