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Crise démocratique en France : «Libération» rassemble 18 idées de 18 personnalités pour y remédier

Nos institutions et l’écosystème médiatique ne sont plus en mesure de traduire, hiérarchiser et mettre en cohérence les aspirations des Français. «Libé» a demandé à des essayistes ou militants du monde syndical, associatif, universitaire de nous livrer leurs propositions pour «déverticaliser» le pouvoir.
Place de la République à Paris lors du mouvement #NuitDebout, en mars 2016. (Meyer/Tendance Floue)
publié le 15 novembre 2024 à 14h56

Un gouvernement sans majorité, un président ignorant les voix des citoyens quand il les consulte, une Assemblée nationale tripolarisée… Nos institutions et l’écosystème médiatique ne sont plus en mesure de traduire, hiérarchiser et mettre en cohérence, les aspirations des Français. Libération a décidé de passer en revue les idées pour y remédier. Retrouvez les propositions de nos 18 contributeurs dans notre dossier spécial.

Un gouvernement sans majorité, dirigé par un honorable (73 ans) représentant d’un parti qui a perdu les dernières élections, un président de la République incapable de reconnaître la moindre faute (la dissolution par exemple), qui réinvente les cahiers de doléances après le mouvement des gilets jaunes, des conventions citoyennes, puis le Conseil national de la refondation (CNR), sans trop tenir compte des résultats de ces initiatives, une Assemblée nationale divisée en trois ensembles politiques incompatibles, emmurés dans une culture de l’affrontement, des syndicats oubliés par l’exécutif, une extrême droite tiktokeuse insaisissable, un écosystème médiatique largement bollorisé qui favorise une polarisation attisée de l’extérieur par les ingénieurs du chaos illibéraux, une gauche qui confond parfois radicalité et outrance et peine à rendre la question écologique attrayante, une presse soumise aux finances de riches industriels de plus en plus interventionnistes…

Le tableau démocratique de la France a de quoi effrayer. Mais pas question pour autant de se résigner. Dans un sondage publié mardi 12 novembre, l’institut Ipsos détaille l’inquiétude des Français qui estiment que notre démocratie dysfonctionne. Libération a décidé de passer en revue les idées pour y remédier. 18 personnalités du monde syndical, associatif, universitaire, des essayistes et des activistes nous livrent leurs pistes pour «déverticaliser» le pouvoir, redonner à la population les moyens de reprendre son destin collectif en main. La crise de la représentation aboutit à ce que – constat trop évident depuis tant d’années – les Français estiment ne pas être entendus par les politiques. Mais se contenter de ce constat accusatoire serait trop simple. Nos institutions, comme l’écosystème médiatique, ne sont plus en mesure de traduire, sérier, hiérarchiser et mettre en cohérences, les aspirations, colères, espoirs des Français.

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Notre ensemble institutionnel, les corps intermédiaires, les mécanismes politiques et médiatiques qui régissent la grande conversation nationale dans un contexte de désaffiliation généralisée, d’indéfinition grandissante des clivages politiques, ne permettent plus de dégager une volonté populaire lisible ni de faire confluer des solutions acceptées par une majorité de Français. Quand on scrute les enquêtes d’opinions, il semble que les Français ont des aspirations contradictoires. Voilà sans doute pourquoi ce qui se dégage de l’ensemble des contributions fournies à Libé par les personnalités que nous avons sollicitées tourne le plus souvent autour des voies et moyens de faire participer le plus grand nombre à l’élaboration des solutions politiques et sociales à apporter à la crise politique.

Les Français entre motifs d’angoisse et ressentiments

Les Français ont le sentiment que les inégalités se creusent, ils sont plus nombreux à estimer les subir eux-mêmes. Toujours défiants envers les institutions et le personnel politique jugé déconnecté des réalités, ils restent cependant massivement attachés à l’engagement personnel, notamment associatifs, fervents partisans de la démocratie même si une part croissante, 26 % (surtout chez les jeunes), estiment qu’un pouvoir centralisé et fort serait la solution pour garantir l’ordre et la sécurité. Depuis le Covid-19, voilà ce que constate le rapport annuel sur l’état de la France (Raef). Les Français sont majoritairement satisfaits et optimistes pour leur situation personnelle, mais pessimistes pour le collectif national ou planétaire.

Soulignons que parmi les motifs d’inquiétudes et d’angoisse des Français interrogés par l’institut Ipsos pour le Conseil économique, social et environnemental (Cese), la sécurité (septième place) et l’immigration (dixième place) viennent loin derrière la santé, en tête pour la première fois, les préoccupations financières (tant personnelles que celles du pays), les inégalités, l’environnement et la situation politique. Un aspect marquant du rapport rappelle une tendance, également très présente dans l’opinion américaine lors de la campagne présidentielle : l’ancrage d’un malaise masculin qui freine la marche vers l’égalité des sexes. C’est bien un rapport de 2024, publié par le Haut Conseil à l’égalité cette fois, et non pas celui de 1954 qui constate un sexisme «incroyablement prégnant» : «70 % des hommes estiment qu’un homme doit avoir la responsabilité financière de sa famille tandis que 25 % des 25-34 ans pensent qu’il faut parfois être violent pour se faire respecter.»

Mais le chiffre sans doute le plus effrayant du Raef 2024 est celui-ci : 24 % des Français n’ont pas le sentiment de faire véritablement partie de la société française. Le sentiment d’isolement territorial, l’éloignement des services publics, l’impression d’être dépassé par l’enchaînement des événements d’une actualité anxiogène et écrasante sous le poids de l’info continue et des réseaux sociaux ? Le Raef fait quelques préconisations qui rejoignent celles des 18 personnalités sollicitées par Libération pour tenter d’enrayer la déprime ambiante et la défiance envers les institutions et ceux qui les incarnent : «Il paraît essentiel d’associer plus fortement les citoyens aux décisions même les plus techniques.» 24 % des sondés souhaitent «une meilleure écoute des citoyens et de leurs préoccupations». Et le rapport de conclure : «S’il existe déjà des dispositifs consultatifs impliquant les citoyens et les citoyennes, il s’agit aujourd’hui de se donner les moyens de passer à la coconstruction sur un plus grand nombre de sujets.» Les propositions recueillies par Libération en fournissent quelques pistes.