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Points de vie

De New York à Bombay, une seule et même chair

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Chronique «Points de vie»dossier
Il a suffi d’un minuscule virus pour démontrer que tous les peuples partagent le même destin charnel. Un nouvel universalisme ?
Lors de la fête hindoue du printemps. (Dibyangshu Sarkar/AFP)
par Emanuele Coccia, Philosophe, maître de conférences à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (Ehess)
publié le 15 mai 2021 à 3h39
(mis à jour le 16 mai 2021 à 15h46)

On nous a longtemps dit qu’il n’y aurait rien de plus privé et de plus inaliénable que notre chair. La chair, pas simplement le corps, mais la matière vivante que nous sommes en tant qu’elle est traversée comme par des éclairs, par nos sensations, nos sentiments, nos joies, nos douleurs, nos imaginations. Cette chair est tellement à nous, tellement privée, que si nous nous réveillions après la mort, ce serait pour la reprendre. Nous y avons cru longtemps. Et pourtant il suffit de prêter attention à notre naissance pour comprendre que notre chair, ainsi que celle de n’importe quel autre être humain n’est que de la chair, littéralement de la chair recyclée, de la chair qui a déjà vécu au moins une première fois. Chacun a pris son souffle, son sang, bref, sa vie d’un corps plus ancien, voire de deux. Nous sommes la chair de quelqu’un d’autre. La chair de sa chair. Naître n’est que cela, partager la chair avec quelqu’un d’autre, faire partie d’une communauté qui partage une seule et même chair.

On nous a longtemps dit que cette communauté était close, mesurable, composée par un nombre défini de corps, ceux qui se sont engendrés les uns les autres : on a remplacé le mythe de la résurrection de la chair – qui nous promettait une chair privée – avec la mythologie du peuple, qui nous offrait l’illusion d’une chair collective et pourtant exclusive, privilège pour certains, honte pour les autres. La naissance – l’expérience de l’impossibilité de revendiquer quoi que ce soit de la vie q