L’anecdote est aussi édifiante que la pudeur avec laquelle il la narre. Un samedi après-midi de juin 1984, Didier Fassin est de garde à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière. Un homme débarque, pas si vieux, mais très malade. Il est atteint du sida. Il mourra quelques jours plus tard, après une ultime opération chirurgicale, et s’appelle Michel Foucault.
Ce fut l’unique et dramatique rencontre, dont «il y a finalement peu à dire», entre deux des penseurs français les plus traduits et cités de l’histoire des sciences sociales.
Impossible pour le cadet, alors médecin et spécialiste en maladies infectieuses, d’imaginer que sa future trajectoire allait autant s’inscrire dans le sillage de son aîné. Qu’il consacre son séminaire au Collège de France, où il occupe pour la seconde fois une chaire, aux «présences de Foucault» était presque écrit.
En est-il pour autant l’héritier ? «C’est davantage un dialogue et un compagnonnage critiques qui nous relie», confie le récent septuagénaire, dans un jeu de miroirs qui témoigne de l’évolution du statut des intellectuels.
«A l’époque de Foucault, les penseurs avaient une légitimité sociale forte. Ils étaient très lus, par exemple par les enseignants ou par les travailleurs sociaux. Leur critique ne portait pas seulement sur la société, mais sur la façon dont on pense», observe l’anthropologue au timbre de voix aussi feutré que son bureau passablement vide, rue d’Ulm près du Panthéon.
A l’occasion de la parution de Leçons de