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Libération
50 ans, 50 combats

Du manifeste de 1973 aux années Charlie, «Libé» défenseur de la liberté d’expression

Libération a 50 ansdossier
Fonder «un quotidien libre» : la création de «Libé» entend donner la parole à toutes les marges. De la publication des caricatures danoises à l’accueil des journalistes de «Charlie Hebdo», le journal n’a jamais transigé avec ce principe. Comme il n’a jamais craint d’ouvrir ses colonnes à ceux qui le critiquent.
La une de «Libé» du 11 janvier 2015.
publié le 2 novembre 2023 à 6h05

C’est pénible, la liberté d’expression. Prononcez cette idée et c’est l’assurance de débats enflammés. Alors, écrivez un papier sur le sujet, et vous voilà, forcément ou presque, traité de censeur ou de laxiste… Cela devrait être simple, personne ne dira qu’il est contre, mais… Il y a toujours ce «mais» qui vient mettre du désordre.

Une chose est certaine. Sans liberté d’expression, pas de Libération, ou, plus précisément, sans menace contre la liberté d’expression, pas d’envie de créer Libération. A son lancement, le journal l’affiche dans un manifeste. Les fondateurs ressentent le besoin impérieux de «dire la vérité», dans un «quotidien libre», où l’on pourrait faire «naître les discussions et critiques» : «Qui d’entre nous, en lisant son journal du matin, n’a pas l’impression d’être le jouet des marchands de publicité, des politiciens ?» Les rédacteurs promettent de travailler le plus honnêtement possible et jugent que «la mobilisation de l’opinion publique est une arme essentielle du combat pour la démocratie totale et pour la liberté». La liberté d’expression, c’est mettre en avant la parole de ceux qui n’y ont pas droit : la gauche, les ouvriers, les révolutionnaires, les étrangers, les artistes, les homosexuels. Paroles aux marges !

Libération n’a jamais dérogé à cette règle, qui se traduit par deux mouvements parallèles et complémentaires. Une défense de ce droit dans le monde et à l’intérieur du journal. La première est la plus évidente et la plus facile, la seconde est la plus étonnante et la plus précaire, probablement la plus précieuse.

Notre journal a soutenu coûte que coûte le droit des journalistes à exercer leur métier. Ceux menacés ou maltraités par une dictature en place, comme Sein Hla Oo, emprisonné par la junte birmane, que Libération a parrainé jusqu’à sa libération en 2005. Mais aussi ceux qui chamboulent des grandes puissances, comme Julian Assange : Libé, avec d’autres sites, abrita un temps les documents fuités de WikiLeaks, pour qu’ils puissent être téléchargés par le plus grand nombre. Ceux, également, qui se retrouvent pris en otages. Dont les nôtres. Les 157 jours de captivité de Florence Aubenas et de son fixeur Hussein Hanoun, en Irak, en 2005, marquèrent durablement la rédaction et au-delà. En 2023, Olivier Dubois, notre correspondant au Mali, retenu en otage depuis avril 2021 par un groupe armé islamiste, a enfin été libéré après 711 jours de détention.

Impossible de ne pas évoquer Charlie et le dessin de presse. En 2006, notre quotidien décide de reproduire, «à titre de document, deux des douze caricatures de Mahomet initialement publiés par le journal danois Jyllands-Posten». «Inutile de le cacher : la publication ou non des caricatures a fait débat dans Libération», écrit Pierre Haski, alors directeur adjoint de la rédaction. «Le combat pour la liberté d’expression est certes indivisible, mais devait-il se mener autour de dessins qu’il était difficile d’assumer ? continuait-il. Si Libération publie finalement ces dessins, c’est avant tout pour «réaffirmer un principe et des valeurs qui, dans cette crise démesurée par rapport à l’objet du débat, semblent mis à mal». Cette défense prendra tout son sens lors de l’accueil des Charlie, en 2011, après l’incendie de leurs locaux, puis, en 2015, à la suite du terrible attentat. L’illustration et ses limites, poussées chez nous très loin historiquement par Willem, puis par Coco, sont des sujets inflammables, en externe ou en interne.

La liberté d’expression passe aussi par des prises de parole parfois virulentes des journalistes. Lors du «comité», la conférence de rédaction, il est autorisé d’avoir un avis contraire de la majorité. Les sujets clivants changent au fil des décennies, des combats des gauches et de l’âge des intervenants. Il n’est pas rare que deux tribunes opposées cohabitent ou qu’un rédacteur, de manière plus ou moins subtile, marque son mécontentement contre son chef.

Les chroniqueurs bénéficient d’une liberté presque totale, surtout ceux dont la passion est de critiquer ce qu’a pu écrire Libé. Pierre Marcelle en son temps ou, désormais, Luc le Vaillant et Daniel Schneidermann, peuvent en témoigner. Ce n’est pas toujours simple, ni sans soubresauts, tout est dans le «presque». «Vive la liberté de débattre, écrivait Schneidermann, à propos d’une embrouille en 2014 entre Marcelle, Duhamel et Guetta. De s’empailler si nécessaire ! Sur des idées évidemment. Mais aussi sur ceux qui les incarnent et les expriment.» «Libé doit rester ce lieu où il est possible, de crier qu’on n’est pas d’accord avec les confrères, et avec la direction, continuait le fondateur du site Arrêt sur images. C’est dans l’histoire, dans les gènes, dans les tripes, ou si l’on préfère, consubstantiel à la marque, pour parler comme les actionnaires.» C’est toujours le cas.