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Libération
L'édito de Paul Quinio

7 janvier, dix ans après : liberté, liberté «Charlie»

Dix ans après les attentats de 2015, il faut se souvenir des disparus et écrire leurs noms, comme on se recueille, comme une marque d’humanité qu’il est hors de question de se laisser voler par des semeurs de haine.
(Coco/Liberation)
publié le 6 janvier 2025 à 19h54

Prendre le temps d’écrire leurs noms. Pour prendre le temps simplement de se souvenir. De penser à eux. Oublier un instant les terroristes islamistes qui leur ont pris la vie il y a dix ans. Pas le jour d’accorder la priorité à leur idéologie de mort. Se souvenir donc de ceux que l’on connaissait, un peu, ou juste de réputation, ou parce que leurs dessins, leurs textes, leur humour, leur rire ont été des compagnons de route de notre attachement à la liberté d’expression, à la liberté tout court. Charb, directeur de la publication de Charlie Hebdo. Cabu, dessinateur. Elsa Cayat, chroniqueuse. Honoré, dessinateur. Bernard Maris, chroniqueur «éco» comme on dit dans le jargon. Tignous, dessinateur. Wolinski, dessinateur. Se souvenir aussi de ceux que l’on ne connaissait pas. Mustapha Ourrad, correcteur dans l’ombre d’un journal incorrect. Simon Fieschi, son webmaster. Michel Renaud, invité ce jour-là de la rédaction de l’hebdomadaire satirique. Frédéric Boisseau, employé de la Sodexo présent par hasard dans le hall de l’immeuble qui abritait le journal. Franck Brinsolaro, policier chargé de la protection de Charb. Ahmed Merabet, policier arrivé très vite sur les lieux. Et comment ne pas nommer aussi Clarissa Jean-Philippe, policière municipale abattue le 8 janvier dans la rue près d’une école juive ? Et ceux tués le surlendemain, Philippe Braham, Yohan Cohen, Yoav Hattab, François-Michel Saada, dans l’Hypercacher de Vincennes ?

Ecrire leurs noms donc comme on se recueille, comme une marque d’humanité qu’il est hors de question de se laisser voler par des semeurs de haine. Ecrire leurs noms pour ne pas laisser le temps qui passe, dix ans, faire son œuvre, celle d’oublier peu à peu les femmes et les hommes qui ne sont plus là. Passer par là, prendre ce temps, laisser d’abord la place à ceux qui manquent, c’est un peu notre arme à nous pour continuer de lutter contre ce que les terroristes islamistes ont ce jour-là semé. Et ils ont d’abord semé la mort. A répétition. Au Bataclan. A Saint-Denis. A Nice. A Saint-Etienne-du-Rouvray. A Magnanville. A Conflans-Sainte-Honorine. A Arras. Ils ont aussi semé la haine, la bêtise, l’injustice, la division, l’intolérance. Ils ont, malgré l’incroyable sursaut du 11 janvier 2015, quand 4 millions de personnes ont défilé en France pour défendre l’esprit Charlie, semé le doute sur ce qu’il est permis de faire, ou pas, dessiner le prophète, se moquer plus généralement des religions, toutes les religions. Les terroristes n’ont pas gagné. Non. Mais le «oui mais» a gagné les esprits et gangrène la liberté d’expression. L’autocensure a progressé dans beaucoup de têtes. Ils ont distillé un poison lent qui s’attaque à la laïcité. Ils ont donné l’idée à certains, y compris à gauche, que ce combat pour laisser la religion à sa place, dans la sphère privée, loin des valeurs d’émancipation républicaines, n’était pas un combat cardinal. Alors oui, dix ans après, il est vital de se dire «toujours Charlie». Avec en tête une idée finalement assez simple : mourir pour un dessin est insupportable. Mais aussi avec la conviction que préserver cette liberté-là, fragile, est plus que jamais un combat.