Menu
Libération
L'édito de Dov Alfon

80 ans de la Libération de Paris : lutte et mythologie capitales

Le 24 août 1944, les alliés entraient dans Paris. Quatre-vingts ans après, il est toujours aussi compliqué de raconter cette journée sans embûche, tant les parallèles entre le passé et le présent sont tendus.
A Paris, le 25 août 1944. (Richard Boyer/AP)
publié le 23 août 2024 à 21h16

C’est sans doute l’opération de transfert la plus spectaculaire de notre histoire : le 25 août 1944, la Résistance offrait son héroïsme à l’ensemble de la population parisienne et de la nation, permettant à tous les Français de se réfugier dans la mythologie d’une capitale qui s’est libérée par elle-même, triomphe militaire d’une France unanimement résistante. La relégation des soldats américains et des étrangers ayant combattu dans les rues de Paris, l’oubli collectif de l’accueil triomphal du maréchal Pétain sur les Champs-Elysées quatre mois plus tôt et la sacralisation de cet encore inconnu qu’était le général de Gaulle allaient rendre possible cette mystification. Elle était sans doute nécessaire dans le contexte d’un pays meurtri et de sa capitale traumatisée ; après tout, quelle histoire nationale est plus belle qu’un peuple qui se libère ? Quatre-vingts ans après, il est toujours aussi compliqué de raconter cette journée sans embûche, tant les parallèles entre le passé et le présent sont tendus. La France de 2024 vit forcément le temps des derniers témoins de l’été 1944, et notre rencontre avec Madeleine Riffaud, la femme de lettres qui a combattu l’occupant nazi dès 1941, est publiée le lendemain de ses 100 ans.

Pourra-t-on raconter ce qui s’est vraiment passé sans ces témoins ? Oui, nous assure l’historien Henry Rousso, alors que le message voulu par le président de la République, champion de la commémoration sinon de l’action, est singulièrement brouillé par son approche magnanime des héritiers de Pétain. Propagatrice d’une vision du monde à l’opposé de celle de la Libération, l’extrême droite n’a été empêchée d’entrer à Matignon que grâce à un sursaut national, et au sacrifice politique de nombre de députés de gauche. La coïncidence imposée par le calendrier d’Emmanuel Macron entre les «consultations» à l’Elysée et les cérémonies historiques dans les rues de la capitale ne fait que renforcer le doute autour de sa place dans l’histoire. Liberté, égalité, fraternité… Le récit national créé il y a quatre-vingts ans se résume le mieux par sa devise, et la ferveur commémorative d’aujourd’hui est aussi révélatrice de notre ténacité à la défendre par les temps présents.