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Libération
L'édito de Dov Alfon

Agriculture : les problèmes structurels ne datent pas d’hier et ne se résoudront pas d’eux-mêmes

Pression de la grande distribution, normes européennes, suicides… Le gouvernement reporte son projet de loi sur l’agriculture en prétextant un mécontentement temporaire des paysans, qui est pourtant documenté depuis des années.
Blocage de l'autoroute A64 par des agriculteurs près de Toulouse, le 19 janvier. (Matthieu Rondel/Hans Lucas pour Libération)
publié le 21 janvier 2024 à 21h06

Après avoir immobilisé l’Allemagne, bloqué les frontières de la Pologne, chamboulé les importations en Roumanie et renversé l’ordre politique aux Pays-Bas, le désespoir des agriculteurs se fait entendre en France. Cela fait maintenant quatre jours qu’ils bloquent l’autoroute A64 près de Toulouse, et nos journalistes ont pu mesurer leur détermination et constater leur détresse. Cherchant la riposte, le gouvernement repousse son projet de loi en prétextant la «grogne», mot qui sous-entend un mécontentement temporaire. Mais les problèmes structurels de l’agriculture en Europe ne datent pas d’hier et ne se résoudront pas d’eux-mêmes demain.

En France en particulier, la détresse des paysans est documentée depuis le début des années 70. Ainsi, le nombre des naissances dans les familles d’agriculteurs de 1952 à 1972 avait chuté de 58 %, à l’inverse de la tendance nationale, et en 1975 comme en 2015, un travailleur sur deux qui commence sa vie active aux champs n’y reste pas (pour les jeunes agricultrices, la proportion était de deux sur trois). Dès le début des recherches de l’Observatoire national du suicide, il y a plus de dix ans, on observait dans tout le secteur un taux de suicide bien plus élevé que dans d’autres professions, plus de 150 victimes par an. A ces signaux d’alarme structurels se sont ajoutées ces derniers mois la pression de la grande distribution, la baisse des aides européennes et maintenant les nouvelles normes écologiques du Green Deal de l’UE, auxquelles les gouvernements se sont bien mal préparés. Le programme du candidat Emmanuel Macron en 2017 proposait aux agriculteurs de «renforcer leur pouvoir de négociation», de fonder un «système de paiement pour services environnementaux» à hauteur de 200 000 euros par an et de «réviser toutes les normes inutiles dans les cinq années à venir». Sept ans après ses promesses, les vaches maigres viennent hanter les rêves du chantre de la «start-up nation» à la française.