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Libération
Edito

Au Tigré, la guerre s’est achevée sans solder le conflit

L’accord de paix en vigueur depuis novembre entre le gouvernement éthiopien et les rebelles tigréens laisse des populations entières sans perspective de justice ou de retour à une vie normale.
publié le 13 mars 2023 à 21h00

La guerre du Tigré fait partie de ces guerres oubliées, dont les massacres se sont déroulés de 2020 à 2022 loin des caméras et des carnets de notes, la région étant interdite d’accès par le gouvernement éthiopien. L’exact opposé de la guerre en Ukraine, où les journalistes sont accueillis à bras ouverts, jusque dans la moindre unité secrète. Pourtant, ces deux ans de guerre civile auraient causé près de 600 000 morts et ont traumatisé plusieurs générations. La vengeance, voilà le maître mot, celui qui a tout déclenché. Car le Tigré, ce n’est ni une guerre de religions (la majorité chrétienne cohabite plutôt bien avec les autres), ni une guerre de territoires (le Tigré n’a jamais été un Etat), c’est une guerre de pouvoir. Les Tigréens ne représentent que 6 % de la population éthiopienne et pourtant ce sont eux qui ont détenu pendant trente ans tous les leviers de pouvoir du pays. Jusqu’à engendrer ressentiment et jalousie au sein des autres communautés, notamment parmi les nationalistes oromo et amhara.

Lorsque Abiy Ahmed devient Premier ministre, en 2018, beaucoup pensent voir s’ouvrir une ère d’entente et de prospérité. L’homme est né de père oromo et de mère amhara, il est formé aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, a servi dans la Force de maintien de la Paix de l’ONU au Rwanda, bref, le profil idéal. Les jurés du Nobel s’y laissent prendre puisqu’ils lui décernent en 2019 le prix Nobel de la Paix pour avoir soldé le vieux conflit entre l’Ethiopie et l’Erythrée. Sauf que, pour en finir avec la domination des Tigréens, il va lancer en 2020 les troupes fédérales à l’assaut de la région contrôlée par le Front de libération du peuple du Tigré (TPLF), déclenchant une terrible guerre civile à base de massacres et de viols. Une sorte de «vengeance collective», comme l’a raconté un Tigréen à notre reporter, qui a été un des premiers à pouvoir entrer dans cette région asphyxiée. La guerre s’est arrêtée car le TPLF, laminé, a déposé les armes. Les leaders occidentaux, eux, refont la cour à Abiy Ahmed afin d’éviter que la prometteuse économie éthiopienne ne tombe sous la coupe des Chinois. Mais l’envie de vengeance, elle, est plus forte que jamais.