On imagine mal, vu d’Europe, la peur viscérale que peuvent ressentir les Taïwanais à l’idée d’être envahis et absorbés par la Chine continentale. C’est une préoccupation de chaque instant. Après la mise au pas de Hongkong, Taiwan a bien compris qu’elle était la prochaine sur la liste. La question n’est pas, sur l’île, de savoir s’il y aura un jour une guerre avec Pékin mais plutôt à quel moment. Alors quand la Russie a envahi l’Ukraine, le 24 février, la population de l’île y a aussitôt vu un acte prémonitoire, un exercice grandeur nature et en temps réel, un test de ce qu’il faut faire, ou pas, en pareille circonstance. Il faut dire que le parallèle est tentant : l’Ukraine et Taiwan vivent tous deux à côté d’un voisin puissant, la Russie ou la Chine, qui rêvent de les conquérir et de les asservir par souci de «réunification». Et, dans les deux cas, les répercussions mondiales d’un conflit sont potentiellement colossales.
On l’a vu avec la guerre en Ukraine, qui a entraîné une crise énergétique et alimentaire dont la planète n’a pas fini de subir les conséquences, on le sait d’avance avec Taiwan tant l’implication des Etats-Unis au côté de l’île – pour des raisons de présence stratégique dans le Pacifique – est énorme. Souvenons-nous de la démonstration de force militaire chinoise sidérante entraînée en août par la simple visite à Taipei de l’Américaine Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des représentants. Les Taïwanais ont donc décidé de se préparer à la guerre, par tous les moyens, comme le montre notre reportage sur le terrain, et ils ont raison. L’île est d’ailleurs un des rares endroits sur terre où une majorité de la population réclame d’allonger la durée du service militaire, qui pourrait passer de quatre à douze mois ! Et si vous voulez vous préparer psychologiquement, jetez-vous sur 2034 (Gallmeister), un roman noir publié en début d’année par l’amiral Stavridis, ancien commandant de la flotte américaine et l’écrivain Elliot Ackerman, ex-marine multidécoré, qui imaginent un conflit entre les deux plus grandes puissances mondiales autour de Taiwan. Dans la fiction, la crise survient en 2034. Dans la réalité, le renseignement américain le prévoit plutôt pour 2024.