Le régime algérien attendait la première occasion pour faire payer à la France sa volte-face sur le sujet sensible du Sahara-Occidental et son rapprochement tonitruant avec l’ennemi marocain. Il l’a trouvée en la personne d’un écrivain franco-algérien de 75 ans, qu’il n’a pas hésité à jeter derrière les barreaux pour «atteintes à la sûreté de l’Etat» à peine celui-ci avait-il le pied posé à l’aéroport d’Alger. Pour qui connaît Boualem Sansal, l’affaire serait risible si elle n’était aussi grave. Figure importante des milieux littéraires en France depuis son premier roman, le Serment des barbares (1999, Gallimard), consacré à cette guerre civile algérienne que le régime tente de mettre sous le boisseau, Sansal n’a rien de l’homme dangereux décrit par Alger. Avec sa queue-de-cheval et son air bonhomme, il se contente de viser ses cibles (les islamistes et l’autoritarisme algérien) avec des mots, un crime pour tous ceux que la liberté d’expression défrise. Ancien haut fonctionnaire au ministère algérien de l’Industrie, il avait eu le courage de critiquer le président Abdelaziz Bouteflika et l’avait payé de son poste au début des années 2000.
Ses derniers livres tenaient davantage de l’essai futuriste mélangeant colère et peur de l’islamisme que du roman proprement dit. Il était en boucle sur l’islamisme, voire l’islam, et sur sa critique du régime algérien, allant jusqu’à déclarer peu avant son dernier départ à Alger, dans un média connu pour ses positions d’extrême droite, que l’Ouest algérien faisait partie du Maroc au moment de la colonisation française. Une déclaration qui a rendu fou de rage le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, au moment même où son autre bête noire en France, l’écrivain Kamel Daoud, obtenait le prix Goncourt, pour Houris (Gallimard), un roman qui revient lui aussi sur la décennie noire dont il est officiellement interdit de parler. Mais on n’embastille pas un écrivain parce qu’on se sent humilié. Tout doit être entrepris pour libérer Boualem Sansal de ce régime dictatorial qui accapare les richesses du pays. L’emprisonner ressemble davantage à un aveu de faiblesse qu’à un acte de courage.