On les appelle «éléments de langage». Ce sont ces phrases et ces mots chocs utilisés par un pouvoir politique ou économique pour communiquer un message destiné à convaincre une opinion qui ne saurait quoi penser d’un sujet. Par exemple, cette réforme des retraites est une «réforme juste» qui «ne fait aucun perdant». Ces éléments de langage sont martelés à l’envi depuis quelques jours dans les médias par les ministres du gouvernement Borne.
C’est que, après la manifestation monstre du 19 janvier contre la réforme des retraites, l’exécutif a compris qu’il fallait faire vite et fort pour convaincre une population qui doute de plus en plus du bien-fondé de ce projet. Et plus encore depuis que le patron du Conseil d’orientation des retraites (COR), Pierre-Louis Bras, a déclaré le même jour que les dépenses de retraite sont «relativement maîtrisées» et même qu’elles «diminuent à terme dans trois hypothèses sur quatre». Cette réforme des retraites ne ferait donc aucun perdant ? Nous avons fait nos calculs, interrogé les premiers concernés et la conclusion est sans appel : faux, cette réforme fait essentiellement des perdants.
Certes, le dispositif «carrières longues» va permettre à certains de partir à 62 ans au lieu de 64 mais, sans cette réforme, ceux-là auraient pu partir à compter de 60 ans. On peut difficilement dire qu’ils ne sont pas perdants. Comment expliquer à un ouvrier du bâtiment qui travaille dans des conditions météo parfois extrêmes et en portant de lourdes charges, ou à une caissière qui passe des heures devant sa caisse dans un bruit permanent qu’ils vont devoir travailler plus longtemps mais qu’ils ne sont pas perdants ? Et tous ces seniors éjectés des entreprises ou ne parvenant plus à trouver un emploi après 60 ans, et qui devront attendre 64 ans au moins pour toucher leur retraite, seraient des gagnants ? Bref, ça ne colle pas. S’il veut convaincre les Français, l’exécutif ne peut se contenter d’éléments de langage, il va lui falloir revoir sa copie.