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Libération
L'édito de Dov Alfon

Chercheurs américains : la France, labo de sauvetage ?

Le démantèlement de pans entiers de la recherche par Trump pousse les scientifiques à envisager l’exil. L’Europe sera-t-elle à la hauteur de cette opportunité ?
En 1935, Jean Perrin a réussi à attirer à Paris nombre de scientifiques qui cherchaient à fuir les persécutions nazies, dont deux futurs Prix Nobel. (John Lund/Getty Images)
publié le 22 avril 2025 à 20h45

C’est une opportunité historique, pouvant changer le destin d’un pays, sinon d’un continent. Un peu partout en Europe, les universités rivalisent d’initiatives pour capter les cerveaux scientifiques américains qui fuient le jeu de massacre lancé par l’idiocratie qui dirige les Etats-Unis. En moins de cent jours, des milliers de chercheurs ont été renvoyés d’institutions scientifiques prestigieuses, les meilleures universités au monde sont attaquées et c’est maintenant le moteur principal de l’innovation américaine qui est sous la menace de perdre la moitié de ses budgets : la National Science Foundation.

Ce centre scientifique tentaculaire, base du soft power américain, est en réalité d’inspiration française, et son histoire illustre à merveille la chance à saisir – ou à manquer. Quand l’ingénieur Vannevar Bush, conseiller scientifique du président Franklin Roosevelt, imagine en 1945 un système centralisé pour la recherche en temps de paix, il le fonde sur deux principes fondamentaux : un financement alimenté par les budgets faramineux de la défense nationale, et dont les choix sont votés non par des bureaucrates mais par la communauté scientifique elle-même. Cette organisation, devenue en 1950 la National Science Foundation, s’inspirait de l’idée d’un autre scientifique, le physicien français Jean Perrin, qui avait fondé en 1935 la Caisse nationale de la recherche scientifique – qui allait devenir le CNRS – et obtenu du gouvernement une partie du budget consacré à la construction de la ligne Maginot. Il a ainsi réussi à attirer à Paris nombre de scientifiques qui cherchaient à fuir les persécutions nazies, dont deux futurs Prix Nobel. Les ambitions affichées aujourd’hui, y compris l’utilisation d’un terme aussi problématique que «réfugié scientifique», dessinent un projet bien plus limité que celui inspiré par Perrin et réalisé par Roosevelt. Mais il n’est pas trop tard pour être à la hauteur de cette ambition.