Menu
Libération
L'édito d'Hamdam Mostafavi

Claude Lévêque, plasticien accusé de viols sur mineurs : que cette affaire agisse comme un détonateur

Violences sexuellesdossier
L’icône de l’art contemporain a organisé sa vie et son œuvre pour favoriser son emprise sur ses victimes. Le témoignage de six hommes, aujourd’hui âgés de 35 à 60 ans, doit aider à libérer la parole dans ce milieu hermétique.
Le plasticien Claude Lévêque, à Paris, en octobre 2015. (Audoin Desforges/Libération)
publié le 16 avril 2025 à 20h46

L’homme et l’artiste. Dans le cas de Claude Lévêque, la distinction est presque impossible. Comme le montre l’enquête menée par Libération, le plasticien a tout entremêlé. Toute sa vie et son œuvre sont organisées pour favoriser son emprise et se garantir un vivier de victimes. Cette mécanique implacable vaut à Claude Lévêque, qui a reconnu une partie des faits mais conteste avoir entretenu des relations avec des mineurs de moins de 15 ans, d’être mis en examen depuis 2023, l’enquête judiciaire étant toujours en cours. Les enfants, tous des garçons, ont entre 8 et 14 ans lors des premières agressions sexuelles. Les faits relatés s’étendent sur quatre décennies, de 1979 à 2009 : une suite ininterrompue de violences, au vu et au su de tout un milieu artistique. Souvent présentées comme ses assistants, les victimes l’accompagnent partout, cosignent parfois ses œuvres. Laurent, David (1), Armand, Léo, Jean-Paul (1), Mathias… Ces deux dernières années, Libération a pu recueillir la parole de six hommes, aujourd’hui âgés de 35 à 60 ans. Certains évoquent des faits qui ne seraient pas prescrits. Beaucoup témoignent pour la première fois à visage découvert, afin d’avertir, espérant que des familles puissent protéger leurs enfants d’autres prédateurs.

Leurs histoires révèlent un mode opératoire bien rodé chez le plasticien, un véritable système vicieux qui piège des familles entières, des fratries, des parents, souvent détruits par la culpabilité. Comme souvent dans ces affaires, on s’interroge : comment un système peut-il perdurer si longtemps sans que personne, jamais, ne parle ? La stature du monument vivant auquel on s’attaque fait taire les témoins, ou détourner les regards. Pourtant, souvent, on découvre a posteriori que certains ont tenté de dire l’indicible. L’artiste a par ailleurs œuvré à effacer ses traces, à manipuler ses victimes même des années après les faits, restant présent dans leur vie pour continuer à exercer son emprise. Espérons que la multiplication de ces «Me Too» aidera les prochains qui s’exprimeront à se faire entendre. Espérons aussi que cette affaire agisse comme un détonateur dans le milieu de l’art contemporain, encore très hermétique à la libération de la parole.

(1) Les prénoms ont été modifiés.